L'herbe aux yeux bleus : elle est venue chez nous avec les soldats américains.
Hier, j'ai divisé une petite plante de rien du tout. Tellement discrète qu'on ne la voit même pas : un dirait de l'herbe. D'ailleurs, dans son pays d'origine, le Nord des Etats-Unis, elle pousse dans les prairies où on ne la distingue pas des graminées. Mais quand elle fleurit, c'est une tout autre histoire. Voici la seule photo d'elle que j'ai eu la présence d'esprit de prendre en juillet.
Sur la photo, les fleurs sont fermées : le Sisyrinchium montanum, alias herbe aux yeux bleus, ne s'ouvre que le matin. Oui, il faut être attentif pour la remarquer. Elle est pourtant si jolie :
J'ai emprunté une photo du site "Plantes et jardin" en attendant d'en faire une correcte moi-même...la saison prochaine
Mais cette petite plante de rien du tout a une histoire extraordinaire : c'est une plante obsidionale. Peut-être que tout le monde ici sait ce qu'est une plante obsidionale, mais moi, je l'ignorais. Comme je l'ai divisée hier, j'ai recherché des informations. Sachez qu'une plante obsidionale est une plante qui s'est implantée dans nos contrées à l'occasion d'une guerre ! Hé oui. Et vous allez voir que c'est assez ahurissant.
Je suis tombée sur plusieurs articles traitant du sujet (voir les sources). Il y a même un livre consacré uniquement à ces plantes. Je l'ai commandé et je l'attends avec impatience.
Vous avez sans doute remarqué que la petite herbe aux yeux bleus figure sur la couverture (cliquer sur l'image pour le commander à la FNAC).
En ce qui concerne la mienne, ce sont des graines que j'ai semées. Mais on en trouve dans la nature, plus précisément en Lorraine et en Argonne : en fait, là où sont passées les troupes américaines en 14-18 !
Cela peut paraitre incroyable, mais quand les Américains sont venus se battre en France pendant la première guerre mondiale, ils ont emporté avec eux le fourrage pour leurs chevaux ! C'est fou, mais c'est comme ça. Ensuite, au gré des batailles, et des lieux de cantonnement, le fourrage a voyagé avec eux. Or, dans celui-ci, il y avait des graines de bermudienne. Elles se sont semées, ont poussé, ont grainé et se sont reproduites sur place. Quand les américains sont repartis, emportant avec eux leurs chevaux (enfin, s'il y avait des survivants !), les plantes sont restées et, dans certains endroits, elles se sont multipliées.
J'adore ce genre d'histoire et celle-ci me rend la bermudienne encore plus sympathique. J'avoue qu'elle n'est pas spectaculaire mais j'ai envie de la multiplier, d'en avoir plus. Elle fait partie de la même famille que les iris : quand elle n'est pas en fleurs, on dirait carrément un iris miniature et elle est tout aussi facile à diviser.
Boult-aux-Bois est un endroit qui m'est cher : village d'origine de la famille d'Alain, c'est aussi un endroit où j'ai passé un séjour épique avec des élèves. Il y a un vannier, un maraîcher, un centre d'observation de la nature... Quand on traverse ce village, on se dit qu'il doit faire bon y vivre. Pour ceux qui connaissent, Boult-auxBois est aussi le berceau de la revue la plus lue dans les terriers, j'ai nommé "la Hulotte". Enfin, tout ça pour dire qu'à Boult-aux-bois, il y a une station de bermudienne... j'ai appris ça hier !
En bordure du département des Ardennes, une très belle station orne les bermes de la route forestière qui traverse du nord au sud de la forêt domaniale de la Croix-aux-Bois et également sur la commune de Boult-aux-Bois.
De Verdun à Vouziers : c'est la zone où les troupes américaines ont stationné et... où on trouve des bermudiennes. Avant 1917, jamais aucun botaniste n'en avait fait mention dans la région. (Le point bleu, tout au Nord, c'est Bouillon, la ville où j'habite)
Une fois encore, je suis enthousiasmée de découvrir l'histoire d'une plante. Le monde végétal est une source de découvertes inépuisable et le jardinage une porte ouverte sur une multitude d'émerveillements...chaque jour, j'en suis de plus en plus convaincue.
George-henry Parent, dont je fus brièvement la collègue, a beaucoup travaillé sur la question :
Une article très complet et détaillé sur les plantes obsidionales :
François VERNIER, Président de FLORAINE, Ces plantes de la guerre que l’on nomme obsidionales. Consulté en ligne le 16-10-2017- URL : http://www.etudes-touloises.fr/archives/151/151art1.pdf
En 100 ans, les plantes obsidionales, dont la bermudienne, ont continué leur périple. Notamment à l'occasion des "ré-engazonnements". Voici un exemple dans les Alpes :
Site : Florealpes, fiche descriptive de Sisyrinchium montanum. URL : http://www.florealpes.com/fiche_sisymontanum.php
Encore un article bien documenté à propos de Sisyrinchium montanum sur Tela-botanica :