Quelle place j'accorde à la nature ?
Ceci est un article un peu spécial puisqu'il répond à la demande de Heikel du blog " jardiner futé" qui a imaginé un carnaval d'articles sur le thème Quelle place j'accorde à la nature dans ma pratique du (jardinage) ? Et il ajoute : en présentant les avantages que vous en retirez… |
Avant de répondre, il faut comprendre la question. Mais quand j'essaye, c'est toujours la même image qui me vient à l'esprit : je me revois sur le siège arrière de la voiture quand j'étais enfant, ma sœur m'accusant de prendre "toute la place". La solution n'était pas difficile à trouver : il suffisait de mesurer pour accorder à chacune l'espace qui lui revenait.
Dans un jardin, ça ne va pas comme ça ! Vous m'imaginez en train d'en mesurer la moitié puis de dire à la nature : "Voilà la place que je t'accorde (dis merci)" ?
Ridicule, n'est-ce pas ?
Autre problème : c'est quoi, la nature ? Le piéris que j'aperçois par la fenêtre, est-ce que c'est la "nature" ? Ben oui, il est "naturel" ... mais c'est moi qui l'ai planté et qui le taille. Et les oiseaux qui viennent aux mangeoires : ils appartiennent à la nature, non ? Mais seraient-ils là si je ne les nourrissais pas ?
Dans mon jardin, la nature est partout...et moi aussi. Tout dépend de moi...et d'elle. Nous sommes imbriquées l'une dans l'autre...inséparables.
Mais voilà que je commence à parler de la nature comme d'une personne ! Ça devait arriver ! D'ici à ce que j'évoque "Mère Nature", il n'y a qu'un pas. Bon tant pis, je n'arrive pas à faire autrement. Pour que ce soit bien clair, j'écrirai désormais Nature avec un "N" majuscule.
Ne sont-elles pas judicieusement disposées ces touffes de molène (jaune pâle). Je n'y suis pour rien : c'est la Nature qui les a installées là.
Oh, je lui en accorde une bien grande, je crois...
Et même, je l'encourage à entrer dans le jardin : je nourris les petits oiseaux, j'entretiens une mare pour les grenouilles, je fauche l'herbe une fois par an pour permettre aux fleurs spontanées de pousser. (OK, c'est plutôt Alain qui s'occupe de ces trois dernières tâches... mais je le soutiens moralement !)
La mare semble si naturelle... pourtant sans la bâche en EPDM qui en recouvre le fond, elle n'existerait même pas !
Je ne lui fais pas de mal, à la Nature. Enfin, le moins possible : pas de pesticides, pas de bêchage intempestif, pas de "nettoyages" forcenés. Je la laisse s'étendre, se ressemer, s'étaler, et même, parfois, se vautrer.
La Nature est tellement jolie, n'est-ce pas ? Les papillons rendent mes fleurs encore plus belles... à tel point que je laisse des touffes d'orties et des ronces pour eux. Ce n'est pas que je trouve ça très décoratif, mais ça en vaut la peine !
La chenille du tabac d'Espagne se nourrit de violettes. Celle du paon du jour préfère les orties. Tout cela est disponible dans notre jardin.
Plus on la connaît, plus on se rend compte que la nature est généreuse : quand on la laisse un peu faire, elle nous fournit toutes sortes de bonnes plantes, comestibles pour ceux qui savent les reconnaître.
L'ail des ours, "un merveilleux cadeau de la Nature", forme de grandes touffes sous la haie de charmes libres.
Les limaces : c'est elle ! Les chenilles de piérides, les moustiques, c'est elle aussi. Pourtant, ce ne sont pas les prédateurs qui manquent : grives, mésanges, batraciens, carabes... Mais ils ont beau faire : il reste toujours des limaces. Des chenilles et des moustiques aussi (un peu).
Oui, je sais, chaque être vivant joue un rôle dans la nature. Mais quand je vois les limaces dévorer mes salades, je suis tout à coup beaucoup moins convaincue de leur utilité.
La Nature que je choie tant serait-elle une ingrate ? Mais non, voyons !
Car c'est aussi la Nature qui régule tout ça. S'il n'y avait pas de grenouilles, nous serions envahis de moustiques. S'il n'y avait pas de mésanges, les chenilles seraient encore plus nombreuses sur les choux. Je pourrais écrire tout un livre sur ce que ça m'apporte de laisser une large place à la Nature. Mais est-ce vraiment nécessaire ? Je suis à peu près sûre qu'on va retrouver les mêmes exemples sous de multiples formes dans tous les articles de ton carnaval, Heikel !
Bien-sûr, on peut être plus ou moins interventionniste, mais on intervient toujours. Sinon, ce n'est plus un jardin. Chaque jardinier a une représentation de la nature idéale et essaye de la reproduire chez lui. Certains rêvent d'une Nature bien propre et "tout en netteté" comme dirait Luc Noël. Ce n'est pas mon genre : pour moi, la Nature idéale est exubérante, joyeuse, inattendue.
Mon jardin correspond à l'idée que je me fais de la Nature idéale. (Certains diront que c'est un sacré bordel)
Quand je vais au jardin, je veux avoir de tas de choses à regarder, à écouter, à sentir, à caresser...à goûter. Et ça, je ne peux l'obtenir qu'en jouant gentiment avec la Nature, en ne la brusquant pas trop... mais en la guidant juste un petit peu, avec beaucoup de précautions.
Cela dit, en tant que propriétaire d'un petit bout de terrain, j'ai une responsabilité : selon l'importance de mes interventions, je peux laisser vivre ou tout tuer à grands coups d'herbicides et de tracteur-tondeuse. J'ai le pouvoir de polluer l'air, l'eau, la terre. Je peux, en coupant les haies, enlever tout refuge aux oiseaux. Et qui m'empêcherait de détruire les nids des hirondelles qui "salissent tout" ? Vous l'avez compris : je ne veux pas être cette jardinière-là. Mais jusqu'où puis-je aller dans mes petits arrangements avec "Dame Nature" ? ça restera sans doute une question sans réponse.
Car enfin, qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout.