J'en ai appris de belles sur les épimediums
En cette période sirupeuse pré-Saint-Valentin, j'ai voulu m'associer à la vague de romantisme ambiant en écrivant un article sur l'épimédium ou "fleur des elfes". Avec un nom pareil, j'espérais trouver quelques histoires d'amours innocentes dans un décor de sous-bois ensoleillé...
Pensez-vous !
Mais avant d'explorer son côté obscur, je vous livre l'essentiel sur cette plante belle et...bien pratique.
Comme souvent, j'ai commencé par un tout petit plant, plutôt moche, planté sans conviction près de la porte de la cuisine. Souvent piétiné, toujours à l'ombre : on n'aurait pas parié un kopeck sur sa survie. Mais voilà qu'il s'est mis à s'étendre et à former un joli tapis vert, fleuri au printemps.
Depuis, j'ai pris l'habitude d'en prélever de petits éclats et de les repiquer là ou rien d'autre ne pousse : à l'ombre ou à mi-ombre, dans des coins ultra-secs en été ou aux expositions les plus froides. J'ai l'impression que cette plante est capable de pousser partout.
Nourrir les oiseaux, c'est bien, leur offrir des endroits pour nicher, c'est bien aussi. Mais ils ont aussi besoin de pouvoir se cacher pour dormir et... manger les graines qu'ils sont allés chercher à la mangeoire. Le lierre remplit ce rôle à merveille mais j'ai remarqué il y a peu que beaucoup de passereaux s'installaient sous les feuilles d'épimédium pour déguster tranquillement leurs graines de tournesol.
Vous n'imaginez pas le nombre de mésanges, de pinsons ou de moineaux en train de déguster leurs petites graines, bien cachés sous les feuilles d'épimédiums.
J'ai appris récemment, que, lorsqu'ils étaient petits, mes enfants appelaient le tapis d'épimédiums près de la porte de la cuisine la "plante poubelle". Explication : on peut y jeter tout ce qu'on veut, ça ne se voit pas ! Les feuilles se referment immédiatement sur l'objet du délit et le cachent aux yeux de la mère la plus soupçonneuse : je pense qu'une bonne partie de la nourriture saine que je leur préparais avec amour a fini comme engrais pour épimédiums.
Je ne m'occupe des épimédiums qu'une seule fois par an : je coupe les feuilles vers le mois de mars avant que les fleurs ne commencent à pousser. A ce moment, le feuillage est devenu tout sec et moche mais il renait rapidement pour accompagner les premières fleurs. Notez qu'il existe aujourd'hui de nouvelles variétés qui fleurissent au-dessus du feuillage pour lesquelles cette opération n'est même plus nécessaire.
Bien à l'abri sous les feuilles, les premières hampes florales commencent à apparaître : heureusement que je n'ai pas fait le ménage trop tôt.
Et voici ce que ça donne lorsqu'on a négligé de couper les feuilles : les fleurs sont quasi-invisibles sous les vieilles feuilles
Je l'ignorais totalement : dans mon jardin, j'en ai des jaunes et des roses. A l'automne dernier, j'ai ajouté une espèce rose pâle (Epimedium pauciflorum). Et c'est tout ! Mais voilà que dernièrement, à l'occasion d'une question posée sur mon forum favori (jardins du Nord), j'ai découvert qu'il en existait une multitude de variétés...et d'espèces différentes. Je me permets de partager avec vous le lien que m'a envoyé Epimédium (c'est son pseudo, ce qui en dit long.). Vous allez voir, il y a des choses qui font rêver.
L'épimédium à fleurs jaunes qui pousse dans mon jardin est celui qui était disponible avant l'apparition de toutes les nouvelles variétés. Il peut sembler banal aujourd'hui mais il possède une sacrée qualité : là où il pousse, les mauvaises herbes disparaissent ! ça prend un moment, mais il suffit d'en planter quelques éclats à une dizaine de centimètres d'écartement pour obtenir un tapis brillant qui fleurit au printemps. C'est ultra-pratique pour les zones difficiles d'accès.
Coincé entre le laurier-cerise, le nichoir à insecte et un tas de branches mortes-refuge, ces quelques boutures d'épimédium plantées l'année passée, commencent à former un tapis qui m'évitera les désherbages difficiles à l'avenir.
Et pour terminer la partie "botanique", je vous propose de visionner ce reportage de Jardins et Loisirs, tourné en 2014 aux pépinières Delabroye. On y apprend énormément de choses.
Et maintenant, passons du côté obscur de l'épimédium
C'est le nom que prend la fleur des elfes quand elle est vendue en gouttes, en poudre ou en gélules. Cette fausse ingénue a en effet une double vie. Tout commence, parait-il, par une légende chinoise :
Vous savez comment sont les bergers : isolés dans leurs montagnes une bonne partie de l'année, ils n'ont rien d'autre faire qu'à observer la nature et leur troupeau. En l’occurrence, celui dont il est question ici, s'occupait d'un troupeau de chèvres. Et il remarqua un phénomène étrange : lorsqu'elles avaient pâturé dans un champ d'épimédiums, ses biquettes devenaient toutes romantiques et rêveuses en regardant le bouc. Peut-être même qu'elles lorgnaient un endroit précis... Celui-ci en galant...bouc, répondait vaillamment à leurs nombreuses sollicitations... (j'ai même trouvé sur un site le nombre affolant de 100 accouplements par chèvre...et par jour). Le berger a vite fait la relation entre la consommation d'épimédium et le comportement libidineux de son troupeau. (En anglais, Horny ne veut pas dire que cornu). Et voilà comment les Chinois, il y a des millénaires, auraient découvert les vertus de l'épimédium.
Voilà en résumé, l'histoire qu'on trouve sur tous les sites qui vendent ce produit. La photo de chèvre ci-dessus, provient d'ailleurs de l'un d'entre eux. Ça donne un petit côté "médecine chinoise traditionnelle " qui inspire confiance. Quoi que l'épimède fasse bien partie de la pharmacopée traditionnelle chinoise(1), je soupçonne cette "légende", évidemment invérifiable, d'être inventée de toutes pièces et de constituer plutôt un argument de vente.
Car c'est un sacré commerce. Tapez un peu "horny goat weed" dans n'importe quel moteur de recherche et vous allez en trouver des résultats !
<-- Un des nombreux "packagings" de la poudre d'épimédium. Charmant, non ?
En Belgique, l'épimédium ne figure pas dans la liste des plantes autorisées à la vente pour la consommation. Les "petites gélules bleues" n'y sont donc pas vendues...en principe. (2).
<-- Mais dans d'autres régions, comme aux USA, on en trouve même dans les distributeurs automatiques des toilettes des stations-services(3).
Au fait, rien ne vous étonne sur l'illustration ? Il manque un truc au bouc, non ?
Les vendeurs mettent le paquet pour nous en convaincre d'acheter leur produit en misant sur une image "santé" et "nature". Je trouve que c'est un peu raté et même marrant (un peu triste aussi, car ça se vend, ces trucs-là !).
Petit tour des pires arguments commerciaux
<-- Super horny weed pour végétariens (sans gélatine)
<-- Selon ses convictions religieuses, on peut trouver la version "kasher"... mais qui contient de la gélatine.
<-- Non-OGM, c'est rassurant !
<-- Ou alors, "sans caféine", mais c'est l'un ou l'autre !
Je n'ai pas trouvé "sans gluten" ni "sans lactose" mais je suis sûre que ça va arriver.
<-- Et pour terminer, voici une version plus classe, et bio. à 24$ les 100 grammes, quand même !
A côté de ces marchands de poudre de perlimpinpin, des études sérieuses sont menées sur les possibilités thérapeutiques de la plante et il existe des pistes intéressantes (1)(4). De là à avaler une gélule "miracle" sur le net, moi, j'éviterais. Niveau effets secondaires, on rapporte des maux de têtes, une augmentation de l'agressivité, des chutes de tension (4)(5). Et même si certains appellent l'épimédium "viagra végétal", je rappelle que "végétal" n'implique pas "sans danger" : la cigüe aussi, est végétale.
Et puis, vraiment, est-ce que ça vaut la peine ? On se méprend souvent sur les aspirations des femmes. Il y en a à qui un petit plateau d'épimédiums variés à repiquer au jardin ferait tout autant plaisir que des performances sexuelles débridées. Il n'y en a pas beaucoup ? Qui sait...
Je me suis bien documentée avant d'écrire cet article mais je n'ai pas accès à tous les résultats de recherche. Par ailleurs, je n'indique aucun site de vente de ces produits, je pense qu'il n'est pas utile de leur faire de la pub.
(1) Shindel AW, Xin Z-C, Lin G, et al. Erectogenic and Neurotrophic Effects of Icariin, a Purified Extract of Horny Goat Weed (Epimedium spp.) In Vitro and In Vivo. The journal of sexual medicine. 2010;7(4 Pt 1):1518-1528. doi:10.1111/j.1743-6109.2009.01699.x. URL : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3551978/, consulté en ligne le 05 février 2018
(2) Version consolidée de l'ARRETE ROYAL du 29 AOUT 1997 relatif à la fabrication et au commerce de denrées alimentaires composées ou contenant des plantes ou préparations de plantes , Août 2017, URL : https://www.health.belgium.be/sites/default/files/uploads/fields/fpshealth_theme_file/consolidated_version_rd_29_august_1997_v10-02-2017_fr.pdf. Consultée le 05 février 2018
(3)Keith Veronese, Is horny goat weed extract really a sexual stimulant? Site : https://gizmodo.com/, URL de l'article : https://io9.gizmodo.com/5959201/is-horny-goat-weed-extract-really-a-sexual-stimulant, Rédigé en 2012, Consulté le 05 février 2018
(5) passeportsante.net, Epimède, URL de l'article : https://www.passeportsante.net/fr/Solutions/PlantesSupplements/Fiche.aspx?doc=epimede_ps