Dancing with the smurfs : une histoire de tomates "bleues".
J'adore cultiver (et manger) des légumes. J'aime qu'ils soient un peu spéciaux et je suis aussi fascinée par leur histoire. Ce n'est pas toujours facile de trouver des informations à ce sujet : la plupart des sites se contentent d'une description de type "forme, couleur, taille, goût" avec, parfois, un petit mot sur le pays d'origine.
Aujourd'hui je vous propose d'entrer dans le monde des "tomates bleues" avec
Aucun doute, sa couleur est inhabituelle et provoque l'intérêt de tous ceux qui la découvrent. De là à parler de "tomate bleue", il y a un pas. Chez Kokopelli on préfère employer l'expression "tomate indigo", ce qui est bien plus proche de la réalité.
Depuis cinq ans, la famille des "tomates bleues" dont fait partie dancing with the smurfs ne cesse de s'agrandir.
Ce qui caractérise toutes ces variétés de tomates, c'est la présence dans leurs fruits de pigments très courants dans le monde végétal : les anthocyanes. Ce sont eux qui donnent leur couleur mauve aux choux...rouges, aux myrtilles et aux raisins, pour ne citer qu'eux. Mais il n'y en a pas dans les tomates. Enfin, pas dans celles qu'on mangeait... jusqu'au début du 21e siècle (voir les explications un peu plus loin1).
La chair des dws (dancing with the smurfs) est...rouge, comme une bête tomate. C'est la peau et une mince couche de chair sous celle-ci qui est indigo.
Il y a à cela une raison toute simple : les anthocyanes ne se forment qu'à la lumière du soleil et plus particulièrement des rayons UV. Si on veut de belles tomates bien typiques il faut donc :
Les cultiver dans l'endroit le plus ensoleillé de la serre (ou du potager pour les chanceux qui peuvent cultiver des tomates à l'extérieur)
Ici encore, j'ai appris de mes erreurs : l'année passée, mes tomates dancing with etc... ne recevaient pas assez de soleil et sont restée pâlottes et insipides. Cette année, elles reçoivent le soleil de l'aube jusqu'au soir (avec une petite pause de 17 à 19 heures) et elles sont magnifiques !
A gauche les dancing with the smurfs de 2016 recevaient peu de soleil : elles ont produit peu d'anthocyanes. A droite, en 2017, cultivée au soleil, elles sont bien colorées et beaucoup plus décoratives.
Enlever quelques feuilles
Je répugne à couper les feuilles de mes plants de tomates, j'y reviendrai. Mais pour dancing with the smurfs, je fais une exception : j'enlève les feuilles dont l'ombre se projette sur les fruits. Heureusement, cela représente peu de choses car le plant en lui-même est naturellement assez lâche.
Pas de soleil, pas d'anthocyanes : dws a hérité du coin le plus ensoleillé de la serre. Ce n'est pas facile de photographier une liane mais croyez-moi sur parole : elle est assez décorative.
A part cette exigence, dancing with the smurfs se cultive comme toute autre tomate et est même assez costaude. Mais ce qui fait aussi son intérêt, c'est son histoire et celle de la grande (et nouvelle) famille des tomates "bleues" dont elle fait partie.
C'est une histoire brève mais pleine de rebondissements, parfois dignes d'un roman policier.
2000 : Jim Myers , professeur à l'Université d'Oregon (USA) cherche à mettre au point, avec ses étudiants, une tomate comestible contenant des anthocyanes. Ceci nécessite quelques explications :
Si beaucoup de tomates contiennent des anthocyanes dans leur tige ou leurs feuilles, seules quelques espèces sauvages en produisent dans leurs fruits : le gène nécessaire à sa fabrication est bien présent, mais non activé... il "suffit donc" de trouver un moyen d'activer le gène en question et il y aura aussi des anthocyanes dans le fruit.
Certaines tomates "sauvages" font ça très bien. Elles sont donc "bleues" mais elles sont aussi immangeables (pour d'autres raisons) !
C'est un gène présent dans ces tomates sauvages bleues qui permet d'activer le gène responsable de la synthèse d'anthocyanes dans le fruit ! (C'est le seul truc difficile à comprendre)
"Ah, si on pouvait transférer ce gène dans une bonne variété de tomate bien comestible et juteuse", se dit Tim Myer (J'imagine).
D'autres avaient essayé avant lui, dans les années 1960, mais sans obtenir les résultats escomptés. Heureusement, les souches obtenues avaient été conservées... pas loin, en Californie.
En utilisant ces souches pour réaliser différents croisements mystérieux, Tim Myer et ses étudiants sont arrivés à créer une tomate "bleue" comestible : Bingo !
2004 : les graines de tomate bleue s'échappent
En 2004, même si les choses avancent bien, la nouvelle variété de tomate bleue n'est pas encore fixée : quand on crée une nouvelle variété de tomates, il faut en effet, plusieurs années de reproduction et de sélection avant d'obtenir des lignées "pures" que l'on peut reproduire fidèlement de génération en génération.
Et voilà le coup de théâtre : des graines se retrouvent tout à coup, on ne sait comment, chez des passionnés de tomates qui s'en donnent à coeur joie et font toutes sortes de croisements entre tomates "blues" et toutes sortes d'autres variétés, obtenant ainsi des tomates de toutes formes et couleurs.
2011 : Tom Wagner commercialise les premières graines de Dancing with the smurfs.
Les toutes premières graines de "tomates bleues" ont été disponibles dès 2010 mais le gros "boum" a eu lieu en 2011 : Tom Wagner, un dingue de tomates, met à la disposition de tout un chacun tout une série de tomates "bleues" parmi lesquelles "dancing with the smurfs".
Tomates indigo " La Boutique - Kokopelli
https://kokopelli-semences.fr/boutique/semences/fruits/tomates/indigo
Toutes les variétés de tomates indigo (alias "bleues") proposées par Kokopelli descendent des premières obtentions de Jim Myers
Selon, Jim Myers, à l'origine de toute cette aventure, l'objectif aurait été d'améliorer la qualité nutritionnelle des tomates. Car, c'est assez impressionnant, la tomate est le légume le plus consommé dans le monde.
Mais peut-être voulait-il simplement s'amuser... ou obtenir des subsides.
La tomate est le légume le plus consommé en France avec une consommation moyenne annuelle par habitant de 15 kg en frais et de 18,4 kg sous forme transformée.
La tomate est déjà très intéressante d'un point de vue nutritionnel, mais, si on arrive à lui ajouter des anthocyanes, c'est encore mieux car les anthocyanes sont des antioxydants comme les carotènes et d'autres pigments déjà présents dans ce fruit.
Bon, la quantité d'anthocyanes est malgré tout assez faible : il vaut mieux manger du chou rouge (ou des myrtilles !)
Avant d'acheter des graines de dancing with smurfs, je n'avais jamais entendu parler de lui ! Pourtant, c'est une célébrité dans le monde des fous de tomates ... et des pommes de terre dont il a créé de multiples variétés de toutes les couleurs. C'est lui le créateur de la fameuse "green zebra", dont il est manifeste très fier.
Ce qui fait sa particularité, et son charme, c'est qu'il met tout cela à disposition du public : pas de brevet, pas de marque protégée. Chacun peut multiplier les tomates ou les pommes de terre qu'il a mis au point ou les utiliser pour créer à nouveau d'autres variétés.
C'est en anglais mais on comprend facilement.
Tom Wagner a un site sur lequel on peut, en théorie, commander des graines de ses obtentions. Je pense que cela ne peut intéresser que les passionnés de tomates, dont je ne fais pas partie. Mais la visite est intéressante et donne une idée du travail de ce type hors du commun.
En faisant des recherches sur les tomates "bleues", je suis tombée sur de drôles de choses plus ou moins alarmistes.
La variété ne serait pas fixée
Lorsqu'une variété est fixée, cela signifie que les graines récoltées dans une tomate donneront la même tomate. Si elle n'est pas fixée, on peut obtenir... un peu n'importe quoi. Je n'ai jamais constaté une telle chose avec mes dancing with the smurfs. Bien-sûr, il y a toujours de petites variations entre les plants d'un même semis mais depuis 2013, je récolte mes graines chaque année et, chaque année, j'ai de jolies petites dancing with the smurfs bien typées.
Elle s'hybriderait
Cela me parait largement exagéré et inutilement alarmiste. Mais sait-on jamais ? Il faut savoir qu'en règle générale, les tomates s'autofécondent : il y a très peu de croisements spontanés entre les différentes variétés mais cela peut arriver. Dans ce cas, on obtient des hybrides et on "perd" la variété de départ. A moins de le faire exprès pour créer de nouvelles variétés, c'est embêtant !
Selon l'auteur de l'article ci-dessous, les tomates indigo alias "bleues" auraient la capacité, comme certaines tomates sauvages, d'aller hybrider toutes les autres variétés de tomates, en conséquence, dans un avenir plus ou moins proche, toutes nos tomates seraient "infectées" par ce caractère "indigo" et perdraient ainsi les qualités propres à leur variété.
N'ayant jamais observé la moindre trace de "bleu" sur les descendants des tomates que je cultive en compagnie de dancing with the smurfs depuis 5 générations (de tomates), je pense, mais sans certitude, que cette crainte est infondée.
Cela dit, mes observations ne se basent sur une quinzaine de variétés présentes dans ma serre ou dans le jardin d'amis et sur une seule variété de tomate bleue. Voici, ci-dessous l'article en question. Je n'ai pas trouvé d'autres informations sur le sujet.
A propos des tomates - partie V - La tomate indigo, du buzz au bug
La première fois de ma vie que j'ai eu l'occasion de voir une tomate bleue, c'était en 1973 à la station expérimentale de l'INRA d'Auzeville, près de Toulouse. En réalité, j'étais plus atte...
Dancing with the smurfs et les autres tomates bleues issues de l'Université d'Orégon ont été obtenues de manière classique, comme chacun pourrait le faire dans son jardin, par croisements et sélection. Ce ne sont donc pas des OGM.
Mais plutôt que de s'embêter avec des croisement aléatoires, il est plus simple et plus rapide de prendre un gène intéressant et de l'incorporer directement au patrimoine génétique de la plante que l'on veut modifier : on crée alors un Organisme Génétiquement Modifié ou OGM. (Bon, ça demande un peu de savoir-faire et de matériel quand même !)
C'est ce qu'a fait un laboratoire anglais en incorporant au patrimoine génétique d'une tomate rouge un gène de... muflier ! Le résultat est une tomate au fruit carrément bourré d'anthocyane, dont le jus est violet (comme du jus de chou rouge). Ils l'appellent sobrement "purple tomato".
Comme la loi sur les OGM est assez stricte dans l'Union Européenne, la société en question cultive la tomate en question au Canada, produit le jus là-bas (garanti sans graines), puis le commercialise en Angleterre.
Ces infos datent de 2014, je ne sais pas si le succès commercial a été au rendez-vous. Si dessous, un article du TELEGRAPH sur le sujet.
Allez, pour être tout à fait complète (si toutefois c'est possible), sachez que depuis 2012 également, des Israéliens produisent des tomates "pourpres" obtenues selon les mêmes techniques que celles utilisées par l'Université d'Ontario. A ma connaissance, leurs graines ne sont pas commercialisées.
Bon, si j'en cultive, c'est que je trouve ça intéressant. Mais j'avoue que c'est surtout pour le fun et parce qu'elles sont jolies. Elles ne sont pas mauvaises non plus et font un bel effet dans les salades. A part ça, elles me permettent de faire ma maline en faisant étalage de mes connaissances devant mes invités... Mais bon, il existe pas mal de tomates comparables qui sont bien plus productives et tout aussi bonnes, si pas plus. A commencer par Black cherry. Ce sera la prochaine dont de vous parlerai.
Pendant toute la rédaction de mon article, j'ai pesté sur ce nom à rallonges. A-t-on idée ? Renseignements pris, Tom Wagner se serait inspiré d'un épisode de South Park (S13 E 13)4. Si vous voulez vous amuser, je vous mets le lien vers cet épisode sur Daily motion ci-dessous.
J'offre un lot de graines de tomates, dont dancing with the smurfs, à celui ou celle qui trouvera le lien entre ma tomate bleue et l'épisode en question.
Mais une seule personne aura-t-elle eu le courage de tout lire jusqu'ici ?