Quand des graines reçues d'Angleterre me font découvrir une botaniste wallonne du 19e siècle
Ce matin, j'ai eu une belle surprise lors de ma petite inspection des semis : alors qu'il gèle depuis plusieurs jours, même dans la serre, il y avait de nouvelles germinations.
L'étiquette indique "Libertia" : un nom qui n'évoquait aucun souvenir en moi. Heureusement, j'écris un blog (si si) et il m'a suffit d'aller relire l'article consacré à ces semis réalisés en octobre pour m'en souvenir : ce sont des graines que j'ai reçues en cadeau lors d'une commande chez Plant World Seeds.
J'ai quand même voulu en savoir plus. Son nom, en particulier, m'intriguait : Libertia Chilensis , ça évoquait pour moi la revolución, Salvador Allende et le Palacio de La Moneda . J'étais déjà en train d'imaginer qu'elle était l'emblème d'une sorte de Che Guevara chilien. Eh bien, pas du tout ! Son nom vient de celui d'unE botaniste du 19e siècle : Marie-Anne Libert. La voici :
Elle a vécu toute sa vie à Malmedy, une petite ville ardennaise, bien loin des universités auxquelles, en tant que femme, elle n'avait de toute façon pas accès. Sa famille (aisée) a veillé à son éducation... histoire qu'elle puisse s'occuper de la tannerie familiale. Mathématiques, musique, Allemand, elle excellait en tout (4). Mais voilà, ce qui l'intéressait, elle, Marie Anne, c'était la botanique. A tel point qu'elle a appris le latin toute seule : elle voulait comprendre les descriptions des plantes dans les deux (!) livres de botanique qu'elle possédait.(1,2,4)
Une femme botaniste, au début du 19e siècle, ce n'était pas si courant. Mais Marie-Anne Libert avait une sacrée personnalité. Et il en fallait, à une époque où l'opinion générale sur les femmes ne les poussait pas vraiment vers une carrière scientifique. Je vous laisse apprécier ces quelques lignes, vous comprendrez tout de suite...(2)
Introduction de l'hommage rendu à Marie-Anne Libert par la Société Royale de Botanique de Belgique lors de son décès en 1865
Pourtant, malgré cette opinion condescendante envers les femmes et leurs centres d’intérêts, Marie-Anne a su se faire respecter dans le milieu des botanistes européen. Elle a fait partie de toutes sortes d'académies scientifiques et correspondait avec les plus grands botanistes de l'époque. Y compris le roi Frédéric-Guillaume de Prusse, qui a même été jusqu'à lui envoyer des bijoux : "Objets de bien peu d’intérêt pour une telle âme" peut-on lire dans sa nécrologie. (2)
Si les bijoux ne l’intéressaient pas, peut-être aurait-elle été heureuse d'apprendre que ses collègues, après sa mort, ont donné son nom à plusieurs genres de plantes (5). C'est une sorte d'hommage que se rendent les botanistes entre eux. La plupart des "libertias" ont changé de nom depuis-lors... à l'exception d'un genre d'iridacées dont une espèce a germé ce matin dans ma serre.
La fiche tehnique de libertia grandiflora sur le site très documenté des Pépinieres de Kerzarch (voir le lien dans les sources)
Sur le sachet reçu de Plant World Seeds, ces deux noms sont considérés comme des synonymes. Mais en fouillant un peu on se rend compte qu'il s'agit plutôt de deux espèces distinctes, l'une originaire du Chili (devinez laquelle...) et l'autre de Nouvelle-Zélande....Encore un mystère de la botanique ! (7)(8)
Chilensis et Grandiflora : des descriptions différentes mais... la même illustration sur le site du RHS
Quoi qu'il en soit, ce petit paquet de graines offert en cadeau m'a permis de découvrir cette "grande demoiselle de Malmédy". Si vous voulez en savoir plus sur sa vie et son œuvre, je vous invite à vous plonger dans les sources en bas de page. Mais avant de vous quitter, j'ai envie de partager les deux petits extraits ci-dessous.
Voici le contexte : Augustin Pyrame de Candolle, célèbre botaniste de l'époque a eu l'occasion de rencontrer Marie-Anne alors qu'il venait inventorier la flore locale. Elle a dû lui faire forte impression car il parle avec beaucoup d'admiration de ses qualités scientifiques (3). Mais, malgré tout, certains de ses propos laissent percer la conviction masculine que les femmes "ne sont pas vraiment faites pour ça"...(2)(3)
Allez, bonne soirée. Et si vous n'avez pas de Valentin(e), ne soyez pas tristes : il n'y a pas que l'amour, dans la vie... il y a aussi les cryptogames. Bisous.
(1) Notice sur Mlle M-A Libert par Mr B-C Dumortier, bulletin de la société royale botanique de belgique, t4 (1865). Consulté sur le site de Biology Heritage Library le 14 février 2018. Url : https://biodiversitylibrary.org/page/3134516
(2) Edouard Morren, Prologue à la mémoire de Marie-Anne Libert, Belgique horticole, t18 (1868), sur le site de Biology Heritage Library le 14 février 2018 le 14 février 2018, URL : https://biodiversitylibrary.org/page/42981227
(3) J. BEAUJEAN, Le « Voyage de Liége » de A. P. De Candolle, 2 Juin – 2 Octobre 1810, Lejeunia, Revue de Botanique, URL : http://popups.uliege.be/0457-4184/index.php?id=168
(4) Mary R. S. Creese, Ladies in the Laboratory II: West European Women in Science, 1800-1900: A Survey of Their Contributions to Research, Scarecrow Press, 17 mai 2004 - 304 pages - pages 101 - 105 Url : https://books.google.be/books?id=SVYnAgAAQBAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false -- Consulté sur Google play le 14 février 2018
(5) Angenot, Luc , A propos du genre "Libertia" (Iridacées) dédié à la botaniste malmédienne M.-A.LIBERT (1782-1865) , Le Pays de Saint Remacle, N°15 1982,pp 3-14. URL : http://hdl.handle.net/2268/19775 consultée le 14 février 2018
(6) http://www.pepinieresdekerzarch.fr
(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Libertia
(8) https://www.rhs.org.uk/Search?query=libertia%20grandiflora