Tailler les tomates, c'est mal ? Peut-être, mais...
Cherchez un peu "faut-il tailler les tomates ?" sur Google et vous allez vite tomber sur ce genre d’affirmation tout à fait sympathique :
En ce qui me concerne depuis l’an dernier j’ai pris la décision de ne plus tailler mes tomates pour les raisons des blessures qui favorisent les maladies et surtout laisser la nature faire son œuvre. Il ne faut pas oublier que moins l’homme interviendra mieux ce sera à l’image de nos forêts. L’homme n’intervient pas et elles sont magnifiques.
Waw ! C'est vrai, ça ! Il faut laisser la nature faire son œuvre, c'est le bon sens ! Convaincue par l'argument, il y a deux ans, je n'ai pas taillé. Et ça a donné ça :
Une vraie jungle amazonienne impénétrable et mystérieuse... ça a son charme ! Seulement, quand il s'agit de récolter les tomates, ou même d'atteindre le fond de la serre, c'est quand même un peu acrobatique... et amusant pour les spectateurs. Mais j'avais dit que je ne taillerais pas, je n'ai pas taillé ! J'avoue cependant que j'ai dû me faire violence et que j'ai souvent été tentée de mettre un peu d'ordre dans tout ça !
Ça n'a pas été nécessaire : le mildiou a réglé la question ! Je n'ai jamais connu d'attaque aussi virulente que cette année-là. Il a bien fallu que je coupe toutes les parties atteintes. En septembre, ma serre ressemblait à ça :
Cette année-là, j'ai récolté des tomates, mais moins que d'habitude. Et croyez-moi, j'en ai bavé pour sauver mes plants.
Ça n'arrive pas qu'à moi
En faisant quelques recherches, j'ai découvert le témoignage d'une dame qui a vécu à peu près la même expérience que moi. Je vous invite à lire son témoignage, très richement illustré :
5 JUIN - TOMATES - tailler ou ne pas tailler.....OUI - NON... - PASSION POTAGER
Aujourd'hui, ma petite histoire ne va pas faire rigoler...elle traite d'un sujet sérieux....la tomate de potager...doit-on ou non la tailler...là..... à chacun de décider....moi, mes expérienc...
http://passionpotager.canalblog.com/archives/2015/06/05/32168645.html
Voilà pourquoi, désormais, je taille
Certes, de nombreux facteurs ont fait échouer mon essai de non-taille : c'était une année "à mildiou " et, bien que je les aie espacés plus que d'habitude, mes plants étaient encore trop serrés pour ce mode de culture. Mais cet essai m'a posé tellement de problèmes que je n'ai vraiment pas eu envie de recommencer. Alors voici pourquoi, maintenant, je taille et je continuerai à tailler les tomates en serre :
- Pour garder une diversité de variétés
Peut-être que la non-taille pourrait fonctionner dans la serre en ne plantant que 5 ou 6 pieds différents. Ils disposeraient de tout l'espace nécessaire à leur croissance, sans créer une atmosphère confinée propice au mildiou...
Oui, mais je n'aurais que 5 ou 6 variétés différentes à manger ! Et ce que j'aime, moi, c'est la diversité. Une banale assiette de tomates/mozzarella a tout de suite beaucoup plus d'allure quand elle est multicolore.
- Par paresse
Hé oui, on imagine que c'est plus facile de ne pas tailler, mais pas vraiment : a moins de laisser courir les tiges par terre et dans tous les sens, on est plus ou moins obligé de les attacher et ça, c'est du boulot !
- Pour l'esthétique
Ok, c'est une affaire de goûts. J'apprécie un certain désordre mais j'aime bien pouvoir admirer de beaux pieds de tomates en bonne santé, facilement identifiables et bien alignés comme des petits soldats. Enfin, j'aime bien pouvoir m'y retrouver dans ma serre, quoi !
- Pour sauvegarder ma dignité
Entrer dans la serre juste avant le repas pour, d'un geste élégant, couper quelques tomates oranges qui poussent à portée de main... ça, c'est élégant ! Bien plus que de s'enfoncer jusqu'à mi-corps dans un fouillis de tiges emmêlées, puis de perdre l'équilibre en essayant d'atteinte LA tomate mûre qui se trouve juste là-bas dans le coin.
Concrètement, je m'y prends comment ?
Je ne vous parle ici que des pieds de tomates à port indéterminé : celles qui font de grandes tiges qui s'allongent pendant toute la saison. Les tomates à port déterminé ne doivent pas être taillées, ce qui est bien pratique, mais j'en reparlerai une autre fois.
- Je plante relativement serré
Environ tous les 50 cm : je peux ainsi planter de nombreuses variétés différentes. Pas encore assez à mon goût, mais c'est déjà ça !
- Je taille sur une seule tige
Avec cette densité de plantation, c'est quasiment indispensable. D'autant que j'ajoute encore des piments, des aubergines, etc... Ainsi, l'air peut circuler et la ventilation des plants est satisfaisante. Tailler sur une tige signifie simplement qu'on enlève tous les rejets latéraux (souvent appelé "gourmands"). On peut aussi laisser quelques rejets se développer et on obtient alors plusieurs tiges verticales... mais ça prend plus de place.
- Je passe tous les jours
Chaque jour, je vais dire bonjour à mes tomates et j'enlève tous les petits rejets à l'aisselle des feuilles. De cette manière, la "blessure" est minuscule et cicatrise très rapidement. Ça prend une ou deux minutes, pas plus !
Ce qui est vrai chez moi ne l'est pas forcément chez vous
Si j'habitais dans une région au climat, disons... moins incertain, la question se poserait autrement : je cultiverais des tomates à l'extérieur, où je disposerais de beaucoup plus de place et je pourrais alors les laisser se développer et se promener à leur guise.
Si j'avais une grande serre ouverte sur les côtés (genre serre de maraichage avec couverture en plastique comme chez Damien Dekarz), il me serait peut-être possible de cultiver de nombreuses variétés différentes en laissant un vaste espace à chacune.
Mais bon, ce n'est pas le cas : ma serre en verre est relativement petite et ici, il est quasi-impossible de cultiver des tomates à l'extérieur pour cause de pluies fréquentes et de nuits froides. (A l'exception de Matt's Wild Cherry)
Dans ma serre en verre de 4,5 mètres sur 3, il faut faire preuve d'ingéniosité pour rentabiliser l'espace.
Quelques arguments anti-taille à la loupe
- La récolte serait plus abondante en ne taillant pas
Par pied, certainement. Mais à surface au sol égale, la production est plus ou moins la même (1). Or, ce qui est important pour nous, c'est de valoriser l'espace au maximum, par chaque pied !
En cherchant un peu, j'ai tout de même trouvé le compte-rendu d'une petite expérience, certes pas "scientifique" mais tout de même bien intéressante. Romain de l'excellent blog "tous au potager" arrive à la même conclusion :
- "Dans la forêt , on ne taille pas"
Le fonctionnement de la forêt a certainement beaucoup de choses à nous apprendre mais l'analogie entre une forêt (supposée "naturelle") et une plantation de tomates en serre est tout de même tirée par les cheveux. Ce n'est pas parce qu'une analogie est parfois pertinente qu'elle est toujours pertinente.
- La taille favoriserait les maladies
C'est bien possible ! Surtout si la plaie est importante. Mais en taillant au jour-le-jour, ou presque, la blessure est minuscule. Le tout est de ne pas se laisser déborder pour ne pas en arriver à devoir enlever les grosses tiges qu'on n'avait pas remarquées... surtout quand elles portent déjà de belles petites tomates prometteuses...
- Tailler est un traumatisme pour le plant
C'est vrai que lorsque je taille, j'ai l'impression de "faire du mal à la plante". C'est peut-être le cas. Ce n'est pas de l'anthropomorphisme : on sait maintenant que les plantes réagissent à un stress. Leur couper des petits bouts est certainement un stress. On sait aussi que, du moins chez certaines espèces, des substances émises dans l'air "préviennent" les plantes voisines d'un danger. (2) Ce phénomène existe-t-il chez les tomates ? Quelles en sont les conséquences éventuelles ? Celles-ci ont-elles un effet positif ou négatif sur la récolte ? mystère !
Alors, tailler les tomates, c'est mal ?
Ce n'est ni bien ni mal. En fait, ça dépend des circonstances. Oui, j'ai écrit tout ça pour en arriver là ! Mais ce que je retiens, c'est qu'en jardinage comme dans les autres domaines, il est important de ne pas suivre aveuglément des "experts" mais de faire ses propres expériences... Ce qui n'empêche pas de se renseigner !
Profitez bien de votre jardin.
Sources
(1) Delbert Hemphill , Tomato Yield and Quality Affected by Pruning Method (1978), URL : http://horticulture.oregonstate.edu/content/tomato-yield-and-quality-affected-pruning-method-1978
(2)Jean-Pierre Jost, Yan-Chim Jost-Tse, Stratégie de défense des plantes contre les maladies et les parasites (et: quelques applications) prat. Editions Publibook, 2016 - 209 pages