Mais pourquoi le perce-neige regarde-t-il vers le bas ?

Publié le par Annick Boidron

Tout doucement, les perce-neige commencent à fleurir aux quatre-moineaux.

La neige est de plus en plus rare en Ardenne : j'ai dû me dépécher pour prendre la photo.

La neige est de plus en plus rare en Ardenne : j'ai dû me dépécher pour prendre la photo.

Bon, et puis après, je fais quoi ? C'est tout de même un peu court, non ? Qu'est-ce que je pouvais bien raconter d'autre ? Peut-être remettre un photo :

Le perce-neige ne perce pas la seulement la neige, il est aussi capable de traverser un épais tapis de géranium macrorrhizum

Le perce-neige ne perce pas la seulement la neige, il est aussi capable de traverser un épais tapis de géranium macrorrhizum

J'ai trouvé que même avec deux photos, ça faisait vraiment court. Alors, je suis allée voir un peu ce qu'on pouvait trouver d'intéressant sur cette petite plante. C'est ainsi  je suis tombée par hasard sur le travail d'une équipe de chercheurs de l'université de Bratislava qui m'a intéressée et amusée.

Tout est parti d'un constat qui n'est pas nouveau : les fleurs, d'une manière générale, développent toutes sortes de stratégies qui attirent les insectes. Mais ces stratégies peuvent aussi les mettre en danger notamment en les exposant aux aléas climatiques.

Les crocus tommasinianus qui fleurissent à peu près à la même période que les perce-neige sont très attrayants avec leurs couleurs vives et leurs pétales grands ouverts. Mais si la saison est pluvieuse, ils fanent avant d'avoir eu l'occasion de s'épanouir.Les crocus tommasinianus qui fleurissent à peu près à la même période que les perce-neige sont très attrayants avec leurs couleurs vives et leurs pétales grands ouverts. Mais si la saison est pluvieuse, ils fanent avant d'avoir eu l'occasion de s'épanouir.

Les crocus tommasinianus qui fleurissent à peu près à la même période que les perce-neige sont très attrayants avec leurs couleurs vives et leurs pétales grands ouverts. Mais si la saison est pluvieuse, ils fanent avant d'avoir eu l'occasion de s'épanouir.

Les scientifiques de Bratislava, au nombre de quatre, se sont demandé si la forme penchée du perce-neige, qui protège des intempéries son précieux nectar, ses étamines et son pistil, constituait un handicap quant à la pollinisation.

Comment le savoir ? En redressant les fleurs, pardi !

Photo issue de l'article (1) voir sources.

Photo issue de l'article (1) voir sources.

Ces scientifiques très sérieux, du moins je le suppose, se sont employés à mettre des bourdons "naïfs", un par un, en présence de deux fleurs de perce-neige : l'une penchée normalement et l'autre redressée dans un petit vase.

Résultat : les bourdons ont préféré les perce-neige redressés artificiellement. C'est assez flagrant puisque seuls 4 bourdons sur 24 ont choisi les perce-neige penchés.

Bon, rappelons tout de même que les bourdons de l'expérience étaient "naïfs" : c'est un mot amusant pour dire qu'ils n'avaient jamais vu un perce-neige de leur vie. Ni aucune autre fleur, d'ailleurs.

Or, il faut savoir que les bourdons ne sont pas idiots. De nombreuses études (3,,5) ont montré qu'ils étaient capables d'apprendre à reconnaître les fleurs en fonction de toutes sortes de critères, dont l'orientation et la qualité du nectar. On peut logiquement supposer que les bourdons un peu plus aguerris ont appris que les fleurs de perce-neige, toutes pendantes et timides qu'elles soient, renferment un nectar bien intéressant.

Les bourdons sont des malins : quand ils n'arrivent pas à atteindre le nectar par un bout, ils font un petit trou à la base de la fleur et le tour est joué ! pour

Les bourdons sont des malins : quand ils n'arrivent pas à atteindre le nectar par un bout, ils font un petit trou à la base de la fleur et le tour est joué ! pour

On peut aussi faire l'hypothèse qu'au fil du temps, la fleur de perce neige a développé toutes sortes de signaux et d'indices qui indiquent aux pollinisateurs qu'elles gagnent à être connues... et visitées. C'est ainsi que nous revenons à notre équipe de l'Université de Bratislava.  Ils ont voulu vérifier si c'était bien vrai, comme on le dit depuis longtemps, que les petites taches vertes sur les tépales intérieurs de la fleur indiquaient aux pollinisateurs le chemin à suivre pour accéder au nectar

Comment s'y sont-ils pris ? Ils ont patiemment peint en blanc les taches vertes d'une partie des perce-neige de leur expérience. Un peu comme ça :

Ça ne se voit pas vraiment, mais les petites taches vertes des tépales de cette fleur sont peintes en blanc. (photo tirée de l'article (2)).

Ça ne se voit pas vraiment, mais les petites taches vertes des tépales de cette fleur sont peintes en blanc. (photo tirée de l'article (2)).

Ils ont regardé si ça faisait une différence et voilà les résultats :

Quand les fleurs étaient redressées artificiellement, les bourdons se sont dirigés indifféremment vers les fleurs intactes et vers celles dont les taches vertes avaient été peintes en blanc.

MAIS, Quand les fleurs étaient penchées, donc en position naturelle, les bourdons se dirigeaient plus souvent vers les fleurs non-trafiquées et boudaient celles qui étaient peintes en blanc : celles-ci n'ont été visitées que par deux bourdons sur 21.

Et voilà, CQFD: quand les perce-neige sont penchés, c'est à dire dans la nature, les bourdons sont attirés par les petites taches vertes. Notez, comme le font remarquer les auteurs, qu'on retrouve des petites taches similaires chez le sceau de Salomon et la nivéole.

Nivéole et sceau de salomon aux Quatre MoineauxNivéole et sceau de salomon aux Quatre Moineaux

Nivéole et sceau de salomon aux Quatre Moineaux

Mais l'histoire ne s'arrête pas là. L'équipe, composée maintenant de 6 personnes, s'est  remise à la tâche et a fignolé la technique.(2)

Cette fois, ils ont compté le nombre de grains de pollens récoltés par chaque bourdon après avoir visité soit un perce-neige au maintient naturel, soit un perce-neige artificiellement redressé. Les résultats ont été publiés en janvier 2023.

Heu oui, ça ressemble très fort au dispositif expérimental précédent, mais au moins, on voit les bourdons  à l'oeuvre.

Heu oui, ça ressemble très fort au dispositif expérimental précédent, mais au moins, on voit les bourdons à l'oeuvre.

Pour être complète, je dois préciser que ces chercheurs ont fait la même expérience avec des ficaires mais... dans l'autre sens. Si vous voulez connaître tous les détails, je vous invite à lire l'article en entier (2).

Bon, qu'est-ce que ça a donné cette expérience ? Il y avait significativement plus de grains de pollen sur les bourdons ayant visité les perce-neige penchés que sur les bourdons ayant visité les perce-neige redressés.

Eh bien voilà ! Se tenir penché n'a donc pas que des désavantages !

Mais est-ce que ce surplus de pollen permet une meilleure fécondation ? Ah ah : on ne sait pas.

Il y aurait bien une façon de le savoir :

L'équipe de l’université de Bratislava n'est pas restées dans son laboratoire, les chercheurs ont aussi travaillé "en plein champ" : avec des petits tuteurs, ils ont redressé quelques fleurs de perce-neige (25 pour être précise) dans une forêt de feuillus et ils ont laissé les autres dans leur position naturelle. Dommage qu'ils n'aient pas pris de photos, ça aurait valu le coup d’œil. L'idée était de revenir quelques semaines plus tard puis de compter le nombre de graines par fleur...

Le seul perce-neige déjà épanoui au jardin : je me suis amusée à en ficeler une vers le haut : ce n'est pas évident !

Le seul perce-neige déjà épanoui au jardin : je me suis amusée à en ficeler une vers le haut : ce n'est pas évident !

Hélas, quand ils sont revenus, ils ont constaté que 14 des 25 fleurs redressées avaient été dévorées par un animal : ils soupçonnent des chevreuils... Sur les 11 fleurs restantes, 5 avaient avorté ce qui correspond au taux d'avortement dans toute la population (de perce-neige).

Il restait donc 6 fleurs ! Leurs capsules, contenant les graines, ont été pesées, pour constater que leur poids moyen ne différait pas de celui des perce-neige "normaux". Mais comme ils le font remarquer eux mêmes "l'échantillon n'était pas suffisant pour arriver à des résultats concluants". La prochaine fois, ils mettront peut-être une petite clôture !

Voilà une petite expérience facile à reproduire à la maison. Vous n'avez pas envie d'essayer ? Moi, si. Mais je dois attendre que mes perce-neige grandissent et s'épanouissent un peu plu.

(1)Prokop, P., Zvaríková, M., Ježová, Z., & Fedor, P. (2020). Functional significance of flower orientation and green marks on tepals in the snowdrop Galanthus nivalis (Linnaeus, 1753). Plant Signaling & Behavior, 1807153. doi:10.1080/15592324.2020.1807153 

(2) Prokop, P., Ježová, Z., Mešková, M., Vanerková, V., Zvaríková, M., & Fedor, P. (2023). Flower angle favors pollen export efficiency in the snowdrop Galanthus nivalis (Linnaeus, 1753) but not in the lesser celandine Ficaria verna (Huds, 1762). Plant Signaling & Behavior, 18(1). https://doi.org/10.1080/15592324.2022.2163065

(3) Wolf, S., Roper, M., & Chittka, L. (2015). Bumblebees utilize floral cues differently on vertically and horizontally arranged flowers. Behavioral Ecology, 26(3), 773–781. doi:10.1093/beheco/arv010

(4) Wang, H., Xiao, C.-L., Gituru, R. W., Xiong, Z., Yu, D., Guo, Y.-H., & Yang, C.-F. (2014). Change of floral orientation affects pollinator diversity and their relative importance in an alpine plant with generalized pollination system, Geranium refractum (Geraniaceae). Plant Ecology, 215(10), 1211–1219. doi:10.1007/s11258-014-0379-y 

(5) Cnaani, J., Thomson, J. D., & Papaj, D. R. (2006). Flower Choice and Learning in Foraging Bumblebees: Effects of Variation in Nectar Volume and Concentration. Ethology, 112(3), 278–285. doi:10.1111/j.1439-0310.2006.01174.x 

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C
ah je te reconnais bien là! Annick et ses recherches passionnantes et toujours intéressantes, j'adore! (pour info, si tu as encore un peu de neige en hiver, ici je n'en ai pas vu depuis...au moins 15 ans, sinon plus!)<br /> Passe d'excellentes vacances en Laponie (je t'envie😉)
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A
Bonjour Catherine, j'ai été un peu déçue par la ville de Levi dans laquelle j'ai séjourné en Laponie (une station de ski artificielle et très touristique, sans la montagne). IL y avait une bonne couche de neige mais la plupart du temps, les températures étaient positives (jusqu'à +3), selon les habitants, c'est très inhabituel et aussi très ennuyeux pour toutes les activités dont ils vivent ("safari" en motoneige, promenades avec des chiens de traineaux, etc...). On peut certainement attribuer cette situation au dérèglement climatique
L
Très intéressante cette recherche. J'ai beaucoup de perce neige en fleurs en ce moment, j'aime beaucoup admirer ce beau tapis blanc qu'elles forment. Bon voyage en Laponie !
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A
Bonsoir a tous, je suis actuellement en train de découvrir la Laponie, c'est difficile pour moi de répondre à chacun individuellement mais sachez que vos commentaires me vont droit au cœur.Mercina vous. ( Cet article et le suivant ont été programmes)
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C
Merci pour ce gros travail de vulgarisation ! Je n'aime pas trop les perce-neige (je ne sais pas pourquoi... peut-être parce qu'ils sont penchés justement) mais là, j'ai bien envie d'en mettre dans mon jardin ! J'imagine déjà les petits tuteurs ^^.
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F
Excellent !! Merci Annick !
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C
Vraiment génial le travail de ces chercheurs que vous avez déniché sur le net ! Merci pour ce bon moment. Chez moi les perce-neige sont en pleine floraison et quand il fait beau ils attirent énormément d'abeilles - je suis ravie de leur offrir ce bar à nectar et pollen.
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M
Tu as un réel talent pour transmettre la joie, le plaisir de la découverte, le bonheur d’apprendre… je suis toujours plus heureuse après avoir lu un de tes articles (et un peu moins bête !;)…Merci!
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D
Annick ,toujours passionnante !<br /> Vraiment contente de te retrouver sur ce blog .Merci pour toutes ces recherches .<br /> Chez moi dans le nord de la France ils sont aussi en pleine floraison ,je les attends chaque année impatiemment .Les crocus pointent le bout du nez .
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X
Tu es toujours incroyable de curiosité ! Je me régale de voir où peut se nicher le travail des chercheurs qui regorgent d’imagination ! Merci pour ce partage. Ici, en Ariège, les perce neige sont en pleine floraison !
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M
Cet article était vraiment à mourir de rire ! On ne le trouverait nulle part ailleurs sur la blogosphère !<br /> Merci beaucoup Annick !
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