Premiers papillons, premiers Citrons
Il fait encore frais, la nuit il gèle. Mais déjà, on peut le voir folâtrer dans les parterres, comme si c'était l'été. On le regarde un instant, émerveillé par cette précocité... puis on n'y pense plus. Mais en cherchant un peu, on en trouve des histoires à raconter sur le Citron.
Quelques primevères, c'est à peu près tout ce que le citron trouve à butiner en cette saison. C'est déjà ça ! (Mars 2018)
Dès que l'hiver arrive, certains papillons adultes migrent vers des cieux plus cléments. D'autres s'abritent dans les maisons et beaucoup meurent. Le petit citron, lui, se suspend simplement sous une feuille de lierre ou de ronce... et attend. Il est capable de modifier ses fluides corporels pour les rendre antigels et éviter les dégâts. Mais dès le premier rayon de soleil, il se réchauffe et reprend vie. Son petit corps tout noir et velu l'aide à emmagasiner la chaleur collectée par ses grandes ailes, qu'il oriente vers le soleil (1).
Pas facile à photographier le petit corps tout noir car, quand il ne vole pas, le citron a toujours les ailes fermées (août 2017)
Cette particularité a un inconvénient : lorsque les hivers sont doux, il arrive que les citrons se réveillent en plein mois de janvier. Ils volètent gaiement, dépensent de l'énergie mais... ne trouvent rien à se mettre sous la trompe. Alors ils s'épuisent et ça peut leur être fatal (1).
En été, le Citron fait à nouveau de longues "siestes" de plusieurs jours, voire semaines, caché dans les feuilles. On appelle ça l'estivation. Ces nombreuses périodes de repos expliqueraient la longévité de ce papillon : presque un an ! (1)
Ses ailes portent des messages secrets
A nos yeux humains, les mâles et les femelles diffèrent légèrement : les mâles sont juste un peu plus jaunes et ça ne saute pas aux yeux. Mais pour les dames Citron, c'est évident : les mâles portent sur leurs ailes des motifs ultraviolets variant d'un individu à l'autre. Ce n'est pas prouvé mais il existe une hypothèse, vérifiée chez des espèces voisines, selon laquelle la forme et l'épaisseur de ces dessins rendraient le Citron mâle plus ou moins séduisant (2).
Sur le site imagine the invisible, Adrian Davies, Photographe et naturaliste utilise différentes techniques qui rendent l'invisible... visible. C'est magique !
Il préfère le bleu-violet-pourpre
Oui ! Il y a des chercheurs qui ont étudié la couleur préférée des papillons. Enfin, c'était surtout pour voir s'ils choisissaient les fleurs qu'ils butinent à la vue ou à l'odorat. Ces études ont montré que les citrons se dirigeaient de préférence vers des cartons bleus, violets et pourpre. Cela dit, ils ne dédaignent pas une petite fleur jaune ou blanche (7)
Coïncidence ? Toutes les photos de citrons prises dans le jardin en été le représentent sur une fleur... bleu-violet-pourpre (photos été 2017)
Une bête superstition
Il existe une croyance selon laquelle, si on ne tue pas le premier papillon aperçu au printemps, la malchance nous poursuivra toute l'année (3). Si on en croit une autre, le même acte barbare nous protégerait des couleuvres (4). Le citron n'étant pas au courant de ces bêtises est presque toujours le premier papillon qui volète au printemps. Il ne se méfie pas et paf ! C'est quasi toujours lui l'innocente victime. Je précise que ça ne marche pas : aucune couleuvre ne m'a jamais agressée et la malchance ne me poursuit pas particulièrement. Pourtant, je n'ai jamais tué volontairement le moindre papillon !
Mon tout premier papillon : quel dommage de tuer ce symbole du printemps pour de stupides croyances.
Hoax, fake, fraude ou bonne blague ?
James Pettiver vivait à la fin du 17e - début du 18e siècle. Il était pharmacien et grand collectionneur de plantes et insectes. Ne croyez pas qu'il parcourait le monde pour herboriser et récolter ses spécimens : une multitude de correspondants lui envoyaient leurs trouvailles, séchées et, pour les insectes, épinglés. James Pettiver, qui était vaniteux, excessivement ambitieux et ennuyeux, s'employait à les classer et à leur donner un nom. (6)
C'est peut-être pour lui rabattre un peu le caquet qu'en 1702, William Charlton son "précieux amis", lui fit parvenir un spécimen unique : un papillon encore jamais vu jusque-là... et plus jamais vu par la suite.
Petiver trouva qu'il ressemblait pas mal à un citron avec des ocelles et l'ajouta à sa collection.
Mais ce n'est pas fini : en 1763 le fameux Carl von Linné, découvrant le spécimen qui, entre temps, avait migré au British Museum, lui donna le nom de Papillio ecclipsis.
Sur ce coup-là, Linné n'a pas été futé-futé car environ 30 ans plus tard, soit en 1793, un lépidoptériste danois dénommé Fabricius découvrit le pot-aux-roses : des ocelles avaient été dessinés soigneusement sur un "bête" citron. La blague a tout de même marché 91 ans !
De rage, le conservateur de la section National Curiosities du British muséum qui en avait la charge, le réduisit en pièces.
Les deux exemplaires toujours visibles, parait-il, au British Muséum, sont des copies de l'époque, réalisées par un autre fameux spécialiste des insectes : William Jones.
Question aux spécialistes
Cette chenille ressemble à celle du citron (dont le nom scientifique est Gonepteryx rhamni, entre-nous) mais est-ce bien elle ? En principe elle est sensée se balader sur sa plante-hôte : la bourdaine ou le nerprun, tous deux appartenant au genre rhamnus. Celle-ci se trouve sur des fleurs de scabieuses où elle est plus que visible !
Mais est-ce que c'est bien une chenille de citron ?
Aujourd'hui il pleut à seaux : les Citrons se cachent sous les feuilles. Mais bientôt les mâles seront rejoints pas les femelles et nous pourrons admirer les évolutions acrobatiques qui préludent à leurs accouplements.
Sources :
(1) Dr. Giuseppe MAZZA, Journalist - Scientific photographer, Gonepteryx rhamni, URL: http://www.photomazza.com/?Gonepteryx-rhamni&lang=en consulté le 28 mars 2018
(2) Pavel Pecháček &David Stella &Petr Keil &Karel Kleisner , Environmental effects on the shape variation of male ultraviolet patterns in the Brimstone butterfly (Gonepteryx rhamni, Pieridae, Lepidoptera. Article (PDF Available)
(3) William Hone, The first butterfly, The Table Book, Volume 1, p 677, W. Hone, 1827. En ligne
(4) Marie-Charlotte DELMAS, Dictionnaire de la France mystérieuse, Volume 1, Place des éditeurs, 20 oct. 2016 - 768 pages. Aperçu consultable en ligne : https://books.google.be/books?id=mNo-DQAAQBAJ
(5) Michael A. Salmon, Peter Marren, Basil Harley,The Aurelian Legacy: British Butterflies and Their Collectors, University of California Press, 2000 - 432 pages - Extraits consultables
(6) Raymond Phinea Stearns, James Petiver, Promoter of Natural Science, c.1663-1718, URL pdf gratuit
(7) S. C. Willemstein, An Evolutionary Basis for Pollination Ecology, Brill Archive, 1987 - p. 164. Aperçu : https://books.google.be/books?id=5-sUAAAAIAAJ