Et vous, vous les mangez, les couilles à l'évêque ?
Derrière ce titre énigmatique se cache une plante toute petite mais au caractère bien trempé : la ficaire ou Ranunculus ficaria qui fleurit dans nos jardins en ce moment.
Jusqu'au 19e siècle, couilles à l'évêque était le nom usuel de la ficaire (1, 2). On le trouve notamment, cité par Rabelais, dans une longue énumération de salades (4). Bon, ce n'est sans doute pas très distingué mais c'est plutôt amusant. On l'appelait aussi couilles de prêtres. Dans les deux cas, l'explication est la même : évêques et prêtres ont (théoriquement) peut l'occasion de se servir des dits organes. Voilà pourquoi ils sont tout riquiqui.
D'une région à l'autre la ficaire, comme toutes les plantes compagnes des hommes, porte bien d'autres noms (1). Parmi ceux-ci on retrouve fréquemment herbe aux hémorroïdes ou herbe aux fics (c'est à dire aux verrues). La ficaire aurait le pouvoir de faire disparaître les unes et les autres. Bien qu'il s'agisse d'un usage traditionnel encore en usage aujourd'hui, et probablement efficace, ces vertus thérapeutiques n'ont jamais été démontrées (à ma connaissance).
Selon la fameuse "théorie des signature", les tubercules ressembleraient soit à des hémorroïdes, soit à des verrues
Moi, en tout cas, je n'en mange pas
D'une part parce que ses différents noms évoquent des choses peu appétissantes. Mais surtout parce qu'elle contient une substance rubéfiante et vésicante : la protoanémonine. Ça fait peur, hein ? Bon, ça veut simplement dire que si on frotte des feuilles de ficaire sur sa peau elle va rougir et se couvrir de pustules. Si on en avale, c'est encore plus embêtant : on peut être saisis de nausées, de vomissements, de diarrhées, etc... Il paraît que ce n'est pas mortel, c'est déjà ça.(3) (5)
Cuites ou séchées, à la rigueur
Ces deux traitements rendent la protoanémonine inoffensive. Les tubercules cuites (les "couilles") auraient, à une époque, remplacé les pommes de terre... en cas de disette. J'imagine qu'il fallait en ramasser pas mal pour être rassasié !
Cuite ou séchée, on peut manger la ficaire sans danger. Cela dit, si vous avez envie d'herbes sauvages, je vous conseillerais plutôt l'ail des ours, l'ortie ou l'égopode : savoureuses et sans danger.
Petite, mais vigoureuse
J'avoue que je ne l'aime pas beaucoup. Pourtant, j'essaye. Ses fleurs sont pimpantes et ses feuilles brillent au soleil, mais ça ne suffit pas ! Elle pousse partout et n'importe comment. Et puis, elle s'étend en tapis denses. Non seulement elle produit graines, que les fourmis se chargent de disséminer, mais elle produit aussi des bulbilles à l'aisselle de ses feuilles. Elle est tellement vigoureuse et tenace qu'aux États-Unis, où nos ancêtres l'ont implantée en tant que plante ornementale, elle est considérée comme une plante invasive. (6)
Se débarrasser de la ficaire en l'arrachant est un vrai travail de bénédictin : j'ai abandonné ! (Ici en compagnie de perce-neiges fanés et de géranium macrorrhizum)
Heureusement, en juin, c'est fini
Cette adventice est quasi-impossible à éradiquer. Heureusement, il suffit d'attendre un peu et fin mai au plus tard, elle fane et disparaît (ouf !). Mais elle survit jusqu'à la saison suivante grâce à ses racines tubérisées pleines de réserves. Gare à nous, jardiniers tête-en-l'air : si nous déplaçons la terre dans laquelle elle a poussé, nous risquons bien de retrouver des ficaires un peu partout dans notre jardin l'année suivante.
Allez, bon dimanche. (Oui, il pleut encore, et ça m'énerve)
Sources
(1) Site : L'éveil sauvage, La ficaire, 01. mars 2018. URL : https://www.leveilsauvage.fr/2018/03/01/la-ficaire/ , consultée le 30 mars 2018
(2) Eric Birlouez, Les salades de l’Histoire, équation nutrition, N°116, janvier 2012. URL : pdf en ligne, consulté le 30 mars 2018
(3) Régis Thomas, David Busti et Margarethe Maillart, La Ficaire, une fausse renoncule, Université de Lyon, département biologie. URL :http://biologie.ens-lyon.fr/ressources/Biodiversite/Documents/la-plante-du-mois/la-ficaire-une-fausse-renoncule
(4) François Rabelais,Le Quart livre des histoires de Pantagruel (1552) - Français moderne et moyen français, Les Editions de Londres, 14 mars 2015
(5) Christian COGNEAUX, Les plantes de nos haies champêtres, Écologie, étymologie et usages, Système d'information du développement durable et de l'information, Ministère de la transition écologique et solidaire, 01/01/1998 Pdf : http://www.side.developpement-durable.gouv.fr/EXPLOITATION/DEFAULT/Infodoc/ged/viewportalpublished.ashx?eid=IFD_FICJOINT_I_IFD_REFDOC_0124044_1
(6) Site : www.zoom-nature.fr, La ficaire, une empoisonneuse outre-Atlantique : de la suspicion aux preuves, URL : https://www.zoom-nature.fr/la-ficaire-une-empoisonneuse-outre-atlantique-de-la-suspicion-aux-preuves/