Laitues : peut-on stimuler leurs défenses anti-limaces ?
C'est l'année des limaces ! Ce temps chaud et humide leur donne des ailes... enfin presque ! Je les poursuis avec rage et détermination mais elles semblent accourir de toutes parts pour se jeter goulument sur mes pauvres petits légumes sans défenses.
Sans défenses, vraiment ? Il parait pourtant que, face à un stress, les plantes sont capables de réagir et de se protéger. Alors, pourquoi ça ne marche pas avec mes laitues ?
Manifestement, cette jeune laitue, réduite à un trognon en une nuit, n'a pas développé les défenses adéquates contre les limaces.
A en croire certains, si les laitues (et les autres plantes fragiles) fraichement repiquées sont victimes des attaques des limaces, c'est parce qu'elles ont été trop chouchoutées dans leur enfance. L'idée serait alors de les élever "à la dure" afin qu'elles soient prêtes à affronter les dangers de la vraie vie une fois repiquées dans le potager. Damien Dekarz explique cela dans la vidéo ci-dessous :
Le passage sur les limaces commence à la minute 9 mais l'ensemble de la vidéo vaut la peine d'être visionnée.
Voici, un petit peu synthétisé, ce que dit Damien Dekarz :
Quand une laitue s'est déjà fait grignoter plusieurs fois par des limaces, si elle survit, elle change la composition de sa sève et devient résistante. Il est donc intéressant de simuler de petites attaques avant de les repiquer ! |
En tout cas, ça paraît plausible. Mais j'ai voulu vérifier : si c'était aussi facile, le truc serait appliqué depuis longtemps. J'ai bien cherché mais je n'ai trouvé aucune étude ou témoignage indiquant que des laitues "grignotées par l'homme" deviendraient plus résistantes aux attaques de limaces. L'idée n'est pourtant pas à jeter car vous allez voir qu'il existe des pistes intéressantes.
Quand une plante est blessée, elle se modifie et devient plus résistante
Bon, ça dépend un peu des plantes : certaines vont secréter des substances toxiques (de la nicotine, par exemple), d'autres deviennent plus coriaces ou plus épineuse. Les stratégies sont nombreuses. Ces défenses se mettent en place en quelques minutes ou quelques jours (1).
Je n'ai trouvé qu'une seule étude sur les laitues stressées (4). Des chercheurs leur ont fait subir toutes sortes d'horreurs (froid, sécheresse, blessure, etc.). Ils ont trouvé, dans les salades ainsi torturées, une plus forte concentration en composés phénoliques.
En plus d'être des anti-oxydants, bons pour la santé et arguments de vente, ces composés sont souvent amers : les limaces ne les aiment pas. Mais est-ce que ça suffit pour les dégoûter et laisser nos salades tranquilles ? C'est une autre histoire...
Par contre, il existe beaucoup d'études portant sur la réaction des végétaux face aux agressions des limaces et des autres prédateurs. On comprend facilement l’intérêt économique que cela représente. Le principe : les chercheurs tentent d'identifier les molécules qui interviennent dans ces processus de défense et en aspergent les plantes à protéger. Ils espèrent ainsi trouver LA substance qui marche et augmente la résistance aux agressions. (7)
Comment distinguer le bon insecte qui vient vous polliniser de la méchante limace qui vient vous manger quand on est une plante et qu'on n'a pas d'yeux ?
Tout est encore bien loin d'être compris sur ces mécanismes de défense. Mais ce que j'ai pu trouver sur le sujet est passionnant. Savez-vous que la plupart des plantes sont capables d'identifier leur agresseur ? Des recherches menées sur différents végétaux (mais pas les laitues, hélas !) ont montré que ceux-ci reconnaissaient les limaces grâce à leur mucus... Il suffirait même d'en déposer un peu sur le sol pour déclencher le processus. (5,6)
Il y a encore beaucoup de choses à raconter sur le sujet, mais ce serait vraiment beaucoup trop long. Si vous voulez en savoir (beaucoup) plus, je vous conseille la lecture passionnante du livre de Jean-Pierre Jost : stratégie de défense des plantes contre les maladies et les parasites. Il coûte 16€ en version papier mais on peut le trouver en pdf pour 4,99 €. Par exemple ici.
Et en pratique, alors ?
Tout ça, c'est de la théorie. Moi, je voudrais savoir si je peux rendre mes laitues plus résistantes. J'ai tenté un petit essai perso...
J'ai donc semé trois pots de laitues :
J'ai entaillé avec des ciseaux les feuilles des laitues du premier pot
J'ai déposé de grosses limaces (dégoûtantes) sur celles du second pot et je les ai laissé baver pendant toute une nuit.
Je n'ai pas touché aux laitues du troisième.
J'ai identifié les pots par un petit bâton muni d'un symbole. Blessées : hachuré ▨, exposées aux limaces et à leur bave : noir uni ■ et indemnes : rien □.
Deux jours plus tard, les ai repiquées ici : un endroit bien humide où, déjà, les limaces guettent...
J'ai identifié chaque petite laitue par son symbole et j'ai permuté leurs places dans les lignes. Il y avait 10 salades de chaque pot soit 30 petits plants.
- Le 24 mai : plantation de 30 petites laitues (10 blessées : ▨, 10 "embavées" : ■ et 10 indemnes : □)
- Le 25 mai : il reste 10 petites laitues (4 blessées ▨, 4 "embavées" ■ et 1 indemne □)
- Le 28 mai : rien n'a changé...
- Le 29 mai, c'est la razzia : seules trois vaillantes ont échappé aux prédateurs (2▨ et 1□)
- Hier (le 06 juin), deux laitues survivaient encore vaillamment : toutes les deux étaient des laitues "blessées" ▨ . Je les ai immortalisées :
- Et aujourd'hui, le 7 juin : PLUS RIEN DU TOUT ! Les deux survivantes ont succombé, elles aussi.
Que peut-on en conclure ?
Rien, évidemment... Mais la résistance des deux dernières laitues blessées est peut-être une indication. Auraient-elles développé une forme de défense anti-limaces ? Ce résultat est peut-être tout simplement le fruit du hasard. Quoi qu'il en soit, aucune n'en est sortie vivante ! Il faut dire qu'elles n'ont pas été aidées : repiquées toutes petites, à portée de radula, dans un coin adoré des limaces. C'est déjà étonnant que certaines aient survécu deux semaines dans ces conditions.
Vous aurez remarqué qu'aucune des laitues exposées aux limaces et à leur bave avant repiquage n'a survécu plus de cinq jours. Ce n'est pas significatif, bien sûr. Mais, clairement, ce traitement ne les a pas immunisées.
Et maintenant ?
Eh bien, je vais recommencer... Avec des salades plus grosses, blessées à plusieurs reprises, que je comparerai avec d'autres, plus chouchoutées. On verra bien qui résistera le mieux ! A bientôt.
(1) Jean-Pierre Jost, Yan-Chim Jost-Tse, Stratégie de défense des plantes contre les maladies et les parasites (et: quelques applications) prat. Editions Publibook, 2016 - 209 pages
(2) Kimberly L. Falk,#1 Julia Kästner,#2 Natacha Bodenhausen,3,4 Katharina Schramm,1 Christian Paetz,5 Daniel Giddings Vassão,1 Michael Reichelt,1 Dietrich von Knorre,6 Joy Bergelson,7 Matthias Erb,8 Jonathan Gershenzon,1 and Stefan Meldau#2The role of glucosinolates and the jasmonic acid pathway in resistance of Arabidopsis thaliana against molluskan herbivores, Mol Ecol. 2014 March; 23(5): 1188–1203. Published online 2014 January 22. doi: 10.1111/mec.12610 URL : http://europepmc.org/articles/pmc5147714
(3) T. R. Green,C. A. Ryan, Wound-Induced Proteinase Inhibitor in Plant Leaves: A Possible Defense Mechanism against Insects, Science 18 Feb 1972:Vol. 175, Issue 4023, pp. 776-777, DOI: 10.1126/science.175.4023.776. URL : http://science.sciencemag.org/content/175/4023/776
(4) Carey EE, Rajashekar CB., Environmental stresses induce health-promoting phytochemicals in lettuce.Plant Physiol Biochem. 2009 Jul;47(7):578-83. doi: 10.1016/j.plaphy.2009.02.008. Epub 2009 Feb 28. URL du résumé : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19297184
(2014) Salicylic acid-dependent gene expression is activated by locomotion mucus of different molluscan herbivores, Communicative & Integrative Biology, 7:3, DOI: 10.4161/cib.28728. consulté le 18-03-2018- URL : https://www.tandfonline.com/doi/full/10.4161/cib.28728?scroll=top&needAccess=true
PMCID: PMC3899270 URL : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3899270/
Heil M, Ibarra-Laclette E, Adame-Álvarez RM, Martínez O, Ramirez-Chávez E, Molina-Torres J, et al. (2012) How Plants Sense Wounds: Damaged-Self Recognition Is Based on Plant-Derived Elicitors and Induces Octadecanoid Signaling. URL : https://doi.org/10.1371/journal.pone.0030537
Guillaume Legrand , Contribution à la caractérisation du métabolisme des acides chlorogéniques chez la chicorée : approches biochimique et moléculaire.Thèse pour l’obtention du grade de Docteur en Sciences de l’Université de Lille 1 Ingénierie des Fonctions Biologiques, Université de Lille 1.p.96 URL : https://ori-nuxeo.univ-lille1.fr/nuxeo/site/esupversions/976273c5-85d1-4552-ab6c-63f622f53a63
Pakarinen, E.; Niemelä, P.; Tuomi, J., Effect of fertilization, seaweed extracts and leaf-damage on palatability of lettuce to Deroceras-slugs, Acta Oecologica 1990 Vol.11 No.1 pp.113-119 ref.20, Department of Biology, University of Turku, 20500 Turku, Finland. URL (abstract) : https://www.cabdirect.org/cabdirect/abstract/19901150578
John L. Orrock, Exposure of Unwounded Plants to Chemical Cues Associated with Herbivores URL : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3676838/