Un sujet passionnant : la tige des jonquilles
En ce moment, aux Quatre Moineaux, c'est la fête à la jonquille.
Ce sont de petites jonquilles botaniques (Narcissus pseudonarcissus) toutes simples qui, au cours des ans se sont multipliées. Il faut dire que nous les laissons se ressemer librement. Grâce à l'aide des fourmis qui déplacent les graines, il y en a maintenant un peu partout dans le jardin.
J'ai cherché une petite histoire à raconter sur la jonquille et au fil de mes lectures, je suis tombée sur plusieurs articles consacrés à une partie de la plante dont on ne parle guère : sa tige ! Figurez-vous que plusieurs équipes de chercheurs de par le monde s'y sont intéressées.
Parfois, la tige de jonquille est étudiée en même temps que d'autres plantes à tiges creuses mais il y a aussi des études qui lui sont exclusivement consacrées. Voici donc quelques faits intéressants (selon moi) sur la tige de la jonquille.
Premier point important : la tige de la jonquille est CREUSE
Une mini serre
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C'est une idée qu'a eue Peter G. Kevan de l'université de Guelph au Canada, aujourd'hui professeur émérite.
Avec son équipe, Peter G Kevan s'est intéressé à la température qui règne à l'intérieur de la tige des jonquilles et d'autres plantes à tiges creuses. Après tout, pourquoi pas ?
C'est ainsi qu'il a découvert qu'au soleil la température à l'intérieur de la tige d'une jonquille pouvait être 6.6°C plus élevée qu'à l'extérieur. Pas mal pour se réchauffer le gynécée, n'est-ce pas ?
Même lorsque le soleil est absent, la différence de température entre l'intérieur de la tige et l'air extérieur peut atteindre 2.7°C.(6)
Ce phénomène n'est pas encore vraiment expliqué. Les parois translucides de la tige agissent comme les vitres d'une serre mais il est probable que les gaz contenus à l'intérieur de la tige emmagasinent la chaleur. D'autres facteurs entrent aussi probablement en jeu.
Dans la tige de cette jonquille, la température est plus élevée qu'à l'extérieur. Hélas, je n'ai pas le matériel pour le vérifier.
Mais ça sert à quoi, d'avoir de l'air chaud dans la tige ? Selon Kevan (7), cet apport de chaleur supplémentaire favoriserait la croissance des plantes ainsi qu'un meilleur développement des organes reproducteurs. Il a notamment remarqué que, dans les régions très froides, la proportion de plantes à tiges creuses était nettement plus forte qu'ailleurs (2,5).
Ce domaine de recherche a l'air d'avoir le vent en poupe, de nombreuses études sont menées pour comprendre comment les plantes arrivent à réguler la température de leurs différents organes. C'est passionnant (1,2).
Peter G. Kevan mesurant la température à l'intérieur des tiges de différentes plantes dans l'Oblas de Magadan, une région bien froide tout à l'Est de la Russie (5)
S'orienter vers la lumière
Cette recherche a été menée par une équipe de l'Université Harvard Cambridge dans le Massachuset (USA)
La fleur de jonquille est conçue comme une petite parabole : la lumière est concentrée vers le centre de la fleur... à condition que la fleur soit bien orientée. Et voilà l'astuce : quand la tige sort de terre et qu'elle grandit, elle se tord de façon à ce que la fleur regarde vers la lumière.
Vers la lumière, n'est-ce pas. Pas forcément vers le soleil ! C'est ainsi que si le soleil est masqué, par exemple, du côté Sud, Ouest et Est, la tige de la jonquille est capable de se tordre de façon à ce que la fleur regarde vers le Nord ! Qu'en dites-vous ? C'est plus fort que les tournesols, ça ! (8)
La jonquille plie mais ne rompt pas
C'est très bien de s'orienter vers la lumière, mais si le vent vient de la même direction, qu'est-ce qui se passe ? Imaginez un vent violent qui s'engouffre dans la trompette un peu comme dans le parapluie de ce promeneur.
La tige pourrait-elle tenir longtemps avant de se plier en deux ou même de casser ? Constatant que, contrairement à toute attente, la fragile tige de jonquille pouvait résister à des vents violents, des chercheurs ont voulu comprendre comment c'était possible.(6)
Ils ont installé des jonquilles dans une soufflerie et ont fait varier la vitesse du vent jusqu'à 60 km/h. A seulement 15 cm au-dessus du sol, c'est une vitesse de vent déjà très importante. Eh bien, même sous ce vent puissant, la tige de jonquille se couche vers le sol mais ne rompt pas !
Je voulais une illustration mais j'ai eu beau souffler et souffler, les jonquilles ne se sont pas penchées. Alors j'ai fait comme ça.
Que se passe-t-il ? Sous l'effet du vent, la tige se tord et la fleur se réoriente. Ses tépales se rassemblent et elle finit par ressembler à un petit cône qui "tourne le dos" au vent. En même temps, la tige se rapproche du sol (mais ne rompt pas !) jusqu'à atteindre pratiquement l'horizontale... la fleur a alors "le nez dans l'herbe", là où il n'y a quasiment plus de vent.
En fait, la tige de jonquille fait un peu la même chose que ces gens-là :
J'ai demandé à ChatGPT de me créer une image, mais bon... Image (ridicule) générée par l'IA Chat GPT
Sous un vent aussi fort, beaucoup de tiges casseraient ou, au moins se plieraient en deux, mais pas les jonquilles ! Comment ça se fait ? Eh bien, les tiges contiennent des fibres orientées dans le sens de la longueur. Elles sont parallèles entre elles et indépendantes les unes des autres. Ces fibres sont à la fois très résistantes et peu résistantes (QUOI ?). Oui, elles sont résistantes à la flexion (la tige ne se plie pas en deux) mais peu résistantes à la torsion (la tige peut être tordue facilement). C'est ça qui va permettre à la tige de se courber vers le sol sans rompre.
Quand le calme est revenu, la tige se redresse, indemne !
Alors, vous en pensez quoi de la tige des jonquilles ?
Sources
(1)Giberneau, M., & Brabé, D. (2007). Des fleurs «à sang chaud». Pour la science, p50-56. https://www.aroid.org/gallery/gibernau/2009p/fleurs%20%C3%A0%20sang%20chaud%20-%20Gibernau%20%26%20Barab%C3%A9%202007.pdf
(2)Kevan, P. G. (2019). Secrets of the stalk: Regulating plant temperature from the inside out. Research Outreach, 86-89. URL : https://researchoutreach.org/wp-content/uploads/2020/02/Peter-Kevan.pdf
(3)Kevan, P. G., Nunes-Silva, P., & Sudarsan, R. (2018). thermal regimes in hollow stems of herbaceous plants—concepts and models. International Journal of Biometeorology, 62, 2057-2062. URl : https://www.researchgate.net/profile/Peter-Kevan-2 publication/327604277_Short_communication_thermal_regimes_in_hollow_stems_of_herbaceous_plants-concepts_and_models/links/5bb8b66992851c7fde2fa3c5/Short-communication-thermal-regimes-in-hollow-stems-of-herbaceous-plants-concepts-and-models.pdf
(4)Kevan, P. G., Coates, C., Tikhmenev, E. A., & Nunes-Silva, P. (2020). Understanding plant thermoregulation in the face of climate change. URl : https://researchoutreach.org/wp-content/uploads/2020/02/Peter-Kevan.pdf
(5)Kevan, P. G., Tikhmenev, E. A., & Nunes-Silva, P. (2019). Temperatures within flowers and stems: possible roles in plant reproduction in the north. Bulletin of the NorthEastern Science Centre of the Russian Academy of Sciences, Magadan, Russia, 1, 38-47. URL : https://www.researchgate.net/profile/Peter-Kevan-2/publication/332564915_Vestnik_Severo-Vostocnogo_naucnogo_centra_DVO_RAN_2019_No_1_s_38-47_TEMPERATATURES_WITH_IN_FLOWERS_STEMS_POSSIBLE_ROLES_IN_PLANT_REPRODUCTION_IN_THE_NORTH/links/5cbdd5b192851c8d22fe900f/Vestnik-Severo-Vostocnogo-naucnogo-centra-DVO-RAN-2019-No-1-s-38-47-TEMPERATATURES-WITH-IN-FLOWERS-STEMS-POSSIBLE-ROLES-IN-PLANT-REPRODUCTION-IN-THE-NORTH.pdf
(6) Peter G. Kevan and Charlotte Coates. 2024. Heliocaminiform structures: plant organs that function as microgreenhouses. FACETS. 9: 1-20. https://doi.org/10.1139/facets-2023-0099
(7)Etnier, S.A. and Vogel, S. (2000), Reorientation of daffodil(Narcissus: Amaryllidaceae) flowers in wind: drag reduction andtorsional flexibility †. Am. J. Bot., 87: 29-32. https://doi.org/10.2307/2656682