Les haricots ostensoirs de Monsieur Mousty
Arthur Mousty, grand amateur d'histoire, était aussi de son vivant un jardinier éclairé. C'est de lui que je tiens mes précieux haricots "ostensoirs".
En 2010, Monsieur Mousty était venu dans ma classe raconter sa jeunesse dans un petit village ardennais. Il avait réussi à captiver les ados... ce qui n'est pas chose aisée !
Quand il m'a confié un petit sachet de haricots ostensoirs, Monsieur Mousty, qui était plutôt de nature joviale, a pris un ton solennel. J'ai bien compris qu'il ne fallait pas rigoler avec ces haricots-là.
Je l'ai appris bien vite : ces haricots sont en quelque sorte sacrés. Monsieur Mousty m'a raconté leur origine :
C'était au début de la guerre à Bellevaux. L'arrivée des Allemands était imminente et on se souvenait encore des atrocités qu'ils avaient commises en 14. Alors le curé voulut sauver le seul objet précieux de son église : l'ostensoir.
Pris de court, il l'enterra dans son jardin puis planta des haricots par-dessus.
A la fin de l'été, lorsqu'il écossa ses haricots, le curé fut émerveillé de découvrir sur les fèves blanches, la trace de l'ostensoir qui était enterré en dessous.
Sans aucun doute, c'était un signe du Seigneur.
Un ostensoir, pour eux qui l'ignoreraient, est un objet religieux qui sert à présenter une hostie consacrée c'est à dire, selon la religion catholique, le corps de Jésus (si j'ai bien tout compris).
Je ne sais pas s'il croyait à cette histoire, j'en doute un peu. Mais il prenait un grand plaisir à la raconter. Les années qui ont suivi et jusqu'à aujourd'hui, j'en sème chaque année.
Je pensais posséder un haricot unique, comme il n'en existe nulle part ailleurs. Mais j'ai appris depuis-lors que ce n'était pas tout à fait le cas : il suffit de faire un petit tour sur le net pour découvrir que ce haricot est finalement assez connu. Le plus souvent, il porte le nom de "haricot du Saint Sacrement". Plusieurs légendes, avec de multiples variantes, s'y rattachent.
Est-ce que je les raconte ? Pour ne pas alourdir le texte, vous pourrez les trouver en bas de l'article si ça vous intéresse (C'est par ici).
En fouillant un peu, j'ai découvert quelques petites anecdotes amusantes sur ce haricot qui, décidément, fait beaucoup parler de lui.
Si ça vous dit d'essayer, il y a une démonstration ci-dessous
En Allemagne, on fabrique des chapelets avec le haricot ostensoir et la légende qui s'y rattache est encore différente (voir les légendes en bas de page)
Au Québec, à Kamouraska, Patrice Fortier, cultive et vend une variété de haricot "du saint sacrement". Chaque année, il organise une "procession" en son honneur. Au terme de celle-ci, un collier de haricots du Saint Sacrement est remis à la vieille dame (Fernande) dans le jardin de laquelle il les a découverts.
Saisie d'écran de la bande annonce du film "le Semeur" consacré à Patrice Fortier : une procession du Saint Sacrement, version païenne
En 2015, Julie Perron a consacré un film (Le Semeur) à ce grainetier doublé d'un artiste-poète bourré d'imagination. Il est en location sur Viméo. Je l'ai regardé : c'est un film apaisant, qui invite calmement à la réflexion sur nos choix de vie. Une séquence est consacrée à ce fameux haricot.
Watch LE SEMEUR (THE SOWER), un film de Julie Perron Online | Vimeo On Demand
77 minutes, documentaire, Canada, 2013 Plus de films sur : f3msurdemande.ca Portait de l'artiste-semencier Patrice Fortier qui met sa passion et son savoir...
Lien pour télécharger "le Semeur", si le cœur vous en dit. Moi, j'ai aimé
Ces haricots semblent bien différents de ceux de Monsieur Mousty : plus allongés et à la marque plus claire. Selon le site, il s'agit d'une variété naine alors que les miens sont grimpants. Il existe probablement deux variétés différentes de haricots du Saint Sacrement. Encore un mystère à éclaircir.
Haricot nain 'Saint-Sacrement'
Haricot nain 'Saint-Sacrement' Phaseolus vulgaris, Fabacées Haricot beurre nain qui se consomme jeune ou écossé à maturité. Délicieux et facile à digérer. Tolère la sécheresse. La graine ...
http://www.lasocietedesplantes.com/produits/haricot-saint-sacrement/
Les haricots "Saint Sacrement" sur le site de Patrice Fortier. Bien différents de ceux de Monsieur Mousty
Les points de vue diffèrent, on s'en serait douté. En voici deux, justement, qui sont diamétralement opposés mais intéressants, chacun dans leur genre :
Il existe un blog consacré essentiellement au haricot ostensoir. Il contient beaucoup d'informations. L'auteur est tellement persuadé de l'origine divine de la "mutation" qu'il voit des images pieuses dans le cercle blanc qui correspond à l'hostie.
Voilà le lien. Tout en bas de la page, on peut accéder à des photos.
---------------------------------------------
Article du blog de haricotsmystere
http://haricotsmystere.skyrock.com/443397060-posted-on-2006-04-29.html
Vous voyez quoi, vous ?
L'article est malheureusement en anglais mais ça vaut la peine de le lire car il est vraiment marrant (selon mes critères). L'auteur a une hypothèse sur l'appellation "nombril de nonne" qui n'engage que lui mais qui est assez irrévérencieuse pour m'amuser.
This afternoon, I was looking around on the web for a recipe for soupe au pistou, which is a typical Provençal dish made with fresh basil and white beans. In a fine website about beans of all kinds
Les haricots du Saint Sacrement dont parle William Skyvington semblent appartenir à une variété différente de ceux de Monsieur Mousty. Ils portent pourtant le même nom.
Ce serait sympa mais il existe quand même quelques arguments rationnels qui indiquent que le Seigneur, quoique ses voies soient impénétrables, n'a probablement pas choisi cette solution pour s'adresser à son peuple de fidèles.
Pour n'en citer qu'un, force est de constater que les haricots portant une tache autour du hile* sont très nombreux et qu'en fonction de sa forme, cette marque a donné lieu à toutes sortes d'appellations (voir photos ci-dessous).
* Le hile est le petit "nombril" par lequel le haricot était attaché dans sa gousse
Owl head, nombril de nonne, soldat rouge, faucon : et encore bien d'autres exemples sur le site ci-dessous d'où proviennent ces photos
Ce passionné a mis en ligne plusieurs pages remplies de photos de haricots de toutes les formes et de toutes les couleurs
En matière d'ostensoir (je viens de découvrir ça), il existe plusieurs modèles : du plus baroque au plus simple.
Pour les haricots, il en va de même.
Sur la plupart des images de haricot "du Saint Sacrement", on ne voit que la version de gauche. Mais dans ma récolte, on trouve plusieurs motifs différents, qui pourraient tous correspondre à un ostensoir. Je me demande si ces variations sont aléatoires ou si elles sont déterminées génétiquement. Histoire de me faire une idée, je noterai le motif des haricots que je sèmerai cette saison.
Il ne suffit pas d'être mignon et d'avoir un passé intéressant. Quand on est un haricot, il faut surtout être bon (et aussi productif).
Hé bien, je peux vous dire qu'il possède ces deux qualités. Si ce n'était pas le cas, j'imagine que, Saint Sacrement ou pas, il ne serait plus cultivé depuis longtemps.
Cette année, je les ai fait pousser selon le principe des "trois sœurs ", dans les maïs. Leurs gousses claires sont même assez décoratives.
Signe divin ou pas, j'adore toutes ces histoires de légumes et celle du haricot ostensoir n'est pas banale. En ce qui me concerne, ce n'est pas l'ostensoir qu'il porte qui me le rend sacré, c'est le souvenir de Monsieur Mousty. C'était un homme d'une gentillesse et d'une intelligence extrêmes, la preuve vivante que l'un n'exclut pas l'autre.
Elles sont si nombreuses qu'on pourrait y consacrer tout un blog. Je vous les raconte "à ma mode" par soucis de concision et aussi pour pouvoir fusionner entre elles celles qui se ressemblent.
Les histoires d'ostensoir enterré
Après la Révolution Française, les armées de la République, sanguinaire et iconoclastes comme chacun sait, parcouraient les campagnes sous prétexte de défendre le pays mais en réalité pour tout saccager et plus particulièrement les biens de l'Eglise. Ce qui faisait très peur aux curés et plus particulièrement à ceux qui avaient refusé de prêter serment.
L'un de ceux-ci, curé à Kruth dans les Vosges selon plusieurs sources, se lamentait en pensant à ce qui allait arriver à son précieux ostensoir si la canaille républicaine mettait la main dessus. C'est alors qu'une brave femme proposa de se charger de l'objet et de l'enterrer dans son jardin. Remarquons au passage qu'elle était plus courageuse que le curé en question qui aurait très pu se charger du travail lui-même, mais soit ! A l'endroit où elle avait caché l'ostensoir, elle sema ses haricots.
L'objet sacré fut sauvé de la barbarie des sans-culottes et la brave dame fut récompensée par Dieu en personne qui dessina, sur chaque grain, un petit ostensoir. Elle aurait peut-être préféré autre chose mais le curé, lui, était tout content.
Excepté l'époque où elle se passe, cette légende ressemble très fort à celle de Monsieur Mousty. Selon les versions, le lieu et la guerre changent : guerres de la révolution, de 1870, de 14-18 ou deuxième guerre mondiale en France. Une légende similaire racontée sur le site allemand dont il est question plus haut (celui des chapelets) fait remonter l'histoire à 1625 lors d'une invasion des Suédois (chacun ses ennemis, hein !)
Dans cette histoire, les Suédois ont rasé le village et tué tous les habitants. Mais le curé avait eu la bonne idée d'enterrer tous les objets du culte dans le jardin. Comme tout le monde était mort, personne n'était au courant. Mais heureusement, les haricots qui poussaient à l'endroit précis où les objets avaient été enterrés ont fourni un indice : une petite tache en forme d'ostensoir sur chaque grain a intrigué les (nouveaux) habitants et ceux-ci, mus par une inspiration peut-être divine, se sont mis à creuser et ont retrouvé le précieux trésor.
Ces histoires sont plus rares : il y est aussi question d'ostensoir enterré, mais cette fois, c'est par des méchants voleurs.
Des voleurs s'étaient emparés des objets saints d'une église. Mais alors qu'ils se sauvaient, ils se sont soudain arrêtés et ont enterré leur butin dans un champ. Avaient-ils pris peur à l'idée du châtiment divin qui les attendait ou voulaient-ils les mettre en sureté afin de venir les récupérer plus tard ? Les versions varient.
On ne sait pas s'ils sont morts, s'ils ont oublié ou s'ils n'ont pas osé venir récupérer leur butin, toujours est-il que personne ne savait qu'il se trouvait là.
Mais voilà qu'un jour, dans ce champ ou l'on avait semé des haricots (qui l'aurait cru ?) , un cheval s'arrêta net et refusa d'aller plus loin. Mieux encore : il s'agenouilla. Loin de se démonter, son propriétaire, contre toute logique, se mit à creuser à cet endroit précis et trouva... devinez quoi ? Le fameux butin des voleurs.
Et vous savez quoi ? Les haricots qui poussaient là furent tous marqués du signe de l'ostensoir.
Dans ces histoires, il s'agit toujours d'un curé qui veut traverser un champ. Voici la version racontée par Rolande, la vieille dame du film "le Semeur" (à lire avec l'accent québécois).
C'était la Fête-Dieu, le 20 juin. Il y avait les enfants de Marie. On était tous là, les prêtres, la ligue du Sacré-Cœur , les dames de Sainte-Anne. Et on partait, il fallait toutes être costumées, là. Avec nos voiles de la première communion. Mais elle était longue la procession. Et on avait un grand reposoir pour cacher le Saint-Sacrement. Il y avait juste un chemin dans ce temps-là. Et ils voyageaient les vaches par la même route. A pied, en auto. Il y avait pas d'autos dans ce temps-là. A pied ou en voiture ! Quand ils sont revenus, c'était l'heure du barda, l'heure de la traite des vaches. Tout le chemin était bouché. Les vaches étaient toutes dans le chemin ! Ils ne savaient plus comment passer avec le reposoir. Ils ont été obligés de traverser et là où ils ont marché, le champs était semé ; c'étaient des champs de fèves. Et quand ils sont passés, ils ont dit que les fèves s'appelleraient Saint-sacrement parce que le Saint Sacrement était passé dans le champs ! Ils ont tous été heureux !
Pas de miracle donc à Kamouraska au Québec. Sans doute le propriétaire du champ n'était-il pas sur place pour empêcher la procession de traverser ses récoltes. Mais ce n'est pas toujours le cas :
Quand ce ne sont des vaches qui bloquent la procession, c'est une inondation qui rend le chemin impraticable. Seule solution : passer par un champ voisin. Oui mais le (méchant) paysan à qui il appartient et qui est justement sur le point de faire sa récolte, refuse obstinément de laisser passer le curé et ses ouailles. Heureusement, dans le champ juste à côté, il y a un paysan plus conciliant et, surtout, bon chrétien. Celui-ci accepte de laisser passer la procession sur sa future récolte. Récolte de quoi ? Je vous le donne en mille : de haricots ! Résultat : non seulement les haricots se sont mis à pousser de plus belle après le passage de la procession mais, en plus, ils portaient tous la marque du Saint-Sacrement. Sans aucun doute, ce jour-là, le bon paysan a gagné sa place au Paradis.
Allez, une dernière, et on aura fait le tour. Celle-ci, je ne l'ai trouvée qu'une seule fois, sur le site du village de Monviette.
Montviette Nature en Pays d'Auge
En cette " Année internationale des légumineuses ", voici l'occasion de réveiller cette légende publiée après la guerre, à Argentan : la " légende des pois marqués "... Il circule nombre d...
Une histoire de...
Allez, j'arrête. A-t-on idée de passer autant de temps sur un haricot. Je me demande quand même si je n'oserais pas demander à un curé que je connais s'il ne voudrait pas enterrer son ostensoir dans le jardin. Juste pour voir. On ne sait jamais...
A la prochaine
Je n'envoie plus de graines !
Je le regrette mais je n'enverrai plus de graines d'Haricot ostensoir à toute personne m'en faisant la demande. D'une part parce que ma récolte a été très maigre depuis deux ans et ensuite, parce que je n'arrive plus à suivre les demandes... qui ont l'air de s'emballer ces derniers temps.