Cyanure et laurier-cerise
Dans un frémissement convulsif, il s’écroula, tandis qu’une odeur d’amandes amères envahissait la pièce ...
Avez-vous déjà broyé du laurier-cerise, également appelé laurier-palme ? Moi, ça m'arrive régulièrement car j'en ai deux gros dans le jardin. A cette occasion, avez-vous remarqué une odeur particulière ? L'amande amère, bien-sûr !
C'est que le laurier cerise contient un poison célèbre à l'odeur reconnaissable entre toutes : le cyanure* ! On va en reparler après une brève présentation de la plante.
Très utilisé pour former des haies persistantes il y a quelques décennies, le laurier-cerise (Prunus laurocerasus) évoque pour moi des lotissements cafardeux et monotones aux jardins tous semblables. Quelques-uns poussaient aux Quatre Moineaux lorsque nous nous sommes installés. Il en reste deux, les voici :
Massif, sombre, démodé, Prunus laurocerasus n'a pas du tout cet aspect léger et spontané que je recherche au jardin.
Ce laurier, qui n'en est d'ailleurs pas un, pousse dans les parcs et les jardins depuis des siècles, mais ce n'est que depuis une vingtaine d'années qu'on le retrouve de plus en plus souvent dans la nature : sa croissance serait favorisée par le réchauffement climatique et l'augmentation de la concentration en CO2 dans l'atmosphère. En colonisant les sous-bois, il nuirait aux espèces locales.
Il est vrai que les oiseaux sont friands de ses grosses baies noires et qu'on retrouve des jeunes plants un peu partout. Cela dit, s'ils sont repérés au début de leur croissance, on peut les arracher facilement.
Le jeune laurier-cerise, s'il n'est pas arraché dès le début de sa croissance, devient un coriace dont les racines rejettent même des années plus tard.
Tout d'abord, parce que ce n'est pas une mince affaire de s'en débarrasser : les troncs sont entremêlés et, une fois coupé, l'arbre rejette vigoureusement pendant plusieurs années. Mais le laurier-cerise n'a pas que des défauts : sa floraison est délicieusement parfumée. Une odeur qui rappelle celle du muguet. Lorsque le temps est ensoleillé, ça embaume à plusieurs mètres à la ronde.
C'est une affaire de quelques degrés et de quelques jours : le laurier-cerise sera bientôt en fleur.
Un abri pour les moineaux
Mais ce qui me fait aimer le laurier cerise malgré tout, c'est qu'il constitue un dortoir pour les moineaux. Chaque soir, en dehors de la période de nidification, ils s'y regroupent. On les entend se chamailler pendant quelques minutes, puis c'est le silence absolu : les moineaux dorment. Rien que pour cette raison, les lauriers-cerises du jardin sont sauvés.
Les moineaux se réfugient dans les branches entremêlées, bien cachés par les larges feuilles persistantes.
Bon, elle ne vous sautera pas dessus mais n'empêche qu'elle est toxique dans toutes ses parties, sauf peut-être les fruits très très mûrs sur les plantes âgées. Conclusion : l vaut (vraiment) mieux ne pas en consommer. Ça n'a pas porté chance à ceux qui ont essayé... volontairement ou non !
Hé oui, c'est un truc qu'on retrouve sur les forums de collectionneurs de papillons : la fabrication d'un "bocal à tuer" (texto) à l'aide de quelques feuilles de laurier-cerise broyées. N'est-ce pas charmant ? Quel genre de plaisir trouve-t-on à tuer des papillons ? A notre époque, il existe encore des gens qui éprouvent du plaisir à chasser les papillons, les tuer et les empaler ? En tout cas, ne comptez pas sur moi pour tester la technique.
Autrefois, on utilisait les feuilles de laurier-cerise ou l'eau de laurier cerise pour parfumer différents mets ... jusqu'à ce qu'on prenne conscience de quelques effets indésirables ! C'est ainsi qu'à Dublin, au 18e siècle, deux femmes sont mortes pour avoir consommé du cognac aromatisé au laurier-cerise3 ! Il a quand même fallu plusieurs incidents de ce genre pour qu'on se rende compte de sa toxicité et qu'on arrête d'en donner aux enfants pour les calmer, par exemple ! Malgré cela, l'eau de laurier a été vendue longtemps encore pour aromatiser les aliments, avant de passer de mode.
Oui, on trouve sur le Web des recettes de "vin de laurier" à base de laurier cerise. Voici, par exemple un commentaire à une recette de "vin de laurier".
Même si, dans les commentaires, le "chef Christophe" précise qu'il faut employer du laurier sauce, il y a manifestement encore des gens qui ignorent la toxicité du laurier-palme (l'autre nom du laurier-cerise) !
Bonjour, moi je laisse macérer 48 heures dans un vin blanc pas trop sec. Pour plus de saveur je coupe mes feuilles en morceaux. Je le fais avec du laurier palme. Je régale mes amis et j'en offre très souvent des bouteilles. Tout le monde revient "au fait maison".
Plusieurs assassins auraient utilisé les "vertus" du laurier-cerise. Dans ce domaine, il paraît que Néron aurait été un précurseur.
Comme on le sait, Néron, Empereur Romain, n'avait pas trop de sympathie pour son frère Britannicus. Dans ces cas-là, à certaines époques, il y avait une solution toute simple : empoisonner son rival. Oui, mais ce n'était pas si simple car, évidemment, tout le monde se méfiait. Les plus fortunés, qui étaient aussi les plus menacés, faisaient appel aux services d'un goûteur. Il fallait donc ruser.
Néron eut recours à la plus grande spécialiste en poisons de l'époque : Locuste. Celle-ci lui procura bien un poison mais, pas de chance (pour elle et pour Néron), le seul résultat fut une bonne diarrhée pour Britannicus. Néron n'était pas content et Locuste devait être dans ses petits souliers. Elle fut sommée de fournir quelque chose de plus fort. Pour ne plus être déçu, Néron testa le nouveau poison sur différents animaux et le fit "cuire et recuire" jusqu'à atteindre le résultat escompté : une mort rapide. Il ne restait plus qu'à l'essayer sur Britannicus lui-même. Mais le goûteur, me direz-vous ? L'astuce consista à servir une boisson très chaude qu'il fallut allonger avec de l'eau fraîche. Le poison était dans l'eau ... et voilà ! Britannicus est mort et ça nous fait une tragédie de Racine à étudier à l'école3.
Bon, il n'est pas certain que le poison en question ait été de l'eau de laurier cerise mais plusieurs éléments prêchent pour cette hypothèse (voir la source N° 3 : un très intéressant travail sur le cyanure dans l'histoire).
Je ne vais pas multiplier les exemples. Juste un petit dernier particulièrement odieux : c'est l'histoire d'un type passionné par les poisons comme d'autres le sont par... le jardinage.
Depuis tout petit, Graham Young, ne parlait que de poisons. Enfin non, il parlait aussi d'Hitler qu'il admirait beaucoup. Différentes tentatives d'empoisonnement plus ou moins couronnées de succès et une certaine tendance à la vantardise, le conduisirent à Broadmoor, une prison psychiatrique de haute sécurité, à l'âge de 14 ans !
C'est là qu'un de ses codétenus décèda d'un empoisonnement au cyanure. Mais où un détenu aurait-il pu se procurer ce poison ? Le jeune Graham Young, tout fier de ses connaissances, expliqua que c'était lui qui l'avait fabriqué : il avait utilisé les feuilles des Lauriers-Cerises qui poussaient dans la cour. A l'époque, on ne l'a pas cru. Maintenant, on est moins sûr2...
Tout ce que je viens de raconter peut sembler anecdotique et sordide mais je pense que ces exemples doivent nous inciter à la réflexion et à une certaine prudence, sans toutefois tomber dans la paranoïa : toutes les plantes ne sont pas comestibles, ça semble être une évidence. Mais avec la tendance, très louable, de consommer des plantes sauvages, on pourrait facilement l'oublier et tenter des expériences... catastrophiques.
Aussi, avant de consommer un végétal, il est essentiel de s'assurer qu'il s'agit bien de celui qu'on croit et qu'il est inoffensif... on se trompe si facilement !
Là-dessus, enjoy your meal, et bonne soirée.
* Ce n'est pas vraiment du cyanure qui est présent dans le laurier-cerise mais des substances "cyanogènes" c'est-à-dire, qui donnent naissance à du cyanure. En fin de compte, ça revient au même...
1. Fiche réalisée par la Province de Liège et la Province de Luxembourg sur les plantes invasives, fiche consacrée au laurier-cerise. Février 2016. Consulté le 19 avril 2016. URL : http://www.province.luxembourg.be/servlet/Repository/laurier-cerise-prunus-laurocerasus.pdf?ID=57813&saveFile=true&saveFile=true
2. THE POISON GARDEN website, URL : http://www.thepoisongarden.co.uk/atoz/prunus_laurocerasus.htm
3. Morgane Flahaut. Le cyanure dans l’histoire et intoxications actuelles. Médecine humaine et pathologie. 2015.<dumas-01237734> Consulté en ligne le 19 avril 2017. URL : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01237734/document