La capucine tubéreuse (mashua) est-elle vraiment anti-aphrodisiaque ?
Quand on se renseigne sur la capucine tubéreuse, on lit partout qu'elle aurait des "vertus" anti-aphrodisiaques (ou anaphrodisiaques) : elle réduirait le désir sexuel chez les hommes... et rien que chez les hommes. Mais d'où vient cette histoire et a-t-elle été vérifiée ? J'ai voulu en savoir plus.
Tubercules andins, suite : les capucines tubéreuses - Au jardin des Quatre Moineaux
http://www.quatremoineaux.be/2016/04/tubercules-tubercules-andins-suite-capucines-tubereuses.html
Si vous ne connaissez pas la capucine tubéreuse, je vous conseille de lire l'article en lien avant d'aller plus loin.
Dans les Andes, d'où elle est originaire, les hommes refusent de manger la capucine tubéreuse : sa réputation anti-libido est bien établie et ils ont peur que leur virilité en prenne un coup. Par contre les femmes de la région de Cuzco, elles, lui trouvent un grand intérêt : quand leurs maris partent travailler dans les plantations des vallées tropicales, elles mélangent discrètement un peu de mashua à leur nourriture. Un moyen de s'assurer de leur fidélité, ni vu ni connu ! (1) Bon, c'est ce que j'ai lu. A mon avis, toutes les femmes ne font pas ça.
La réputation d'anti-aphrodisiaque de la capucine tubéreuse ne date pas d'hier. Le Père Cobo, un jésuite curieux de tout, a vécu au Pérou au 17e siècle et nous a légué des écrits très intéressants. Il rapporte que les Incas avaient l'habitude de faire manger des capucines tubéreuses aux soldats afin qu'ils "oublient leurs femmes" quand ils partaient à la guerre. Vrai ou faux ? le Padre Cobo n'a fait que retranscrire une histoire que les indiens lui ont racontée. L'idée pourrait être judicieusement remise au goût du jour afin d'éviter les débordements en tous genres des troupes armées, y compris celles des pays dits "civilisés".
Cependant, il existe un antidote, sans doute oublié aujourd'hui : Garcilaso de la Vega, dont le père était un noble espagnol et la mère une princesse Inca, vivait au 16e siècle. Il a passé ses vingt premières années au Pérou. Il raconte que lorsque les hommes mangeaient des mashuas, ils tenaient dans leur main un petit bâton afin, disaient-ils, d'annuler l'effet du tubercule. Ces hommes racontaient cela en riant, dans le genre "on n'y croit pas vraiment, c'est des histoires de vieux..." (déjà au 16e siècle !) N'empêche qu'ils le faisaient quand même !(2)
On se rend bien compte que dans toute cette histoire, il y a une part d'irrationalité et de superstition. Mais il est aussi possible que ces croyances reposent sur des observations empiriques. Après tout, si on arrive facilement à faire la relation entre les haricots secs et les flatulences, il n'y a pas de raisons pour que les indiens des Andes n'aient pas remarqué la corrélation entre un repas de mashua et une baisse de leurs performances sexuelles. Des chercheurs ont voulu vérifier tout cela. Enfin, quelques rares chercheurs...
Dans une étude de 1980 souvent citée (3, 4 et 5) , Timothy Johns et ses collègues ont fait manger de la capucine tubéreuse à des rats. Ils ont observé que le taux de testostérone et de l'un de ses dérivés, la dihydrotestosterone, diminuait de 45% dans leur sang. Ces deux hormones sont responsables de l'apparition et du maintien des caractères sexuels chez l'homme. Elles influent sur l'érection, la production des spermatozoïdes...la calvitie, etc. Cependant les rats ne sont pas devenus moins fertiles pour autant.
L'étude la plus récente sur le sujet (à ma connaissance), et a été menée à l'université de Lima et publiée en 2012. Les chercheurs ont soumis des rats à un régime contenant différentes concentrations d'extrait de capucine tubéreuse. Résultat : après 12 jours, les spermatozoïdes des rats mâles ayant consommé de la mashua était moins nombreux et moins mobiles que ceux du groupe-témoin. La proportion de spermatozoïdes mal formés était aussi plus élevée. La même étude a montré que ces effets dépendaient de la dose consommée et étaient réversibles (après 24 jours quand même !). (6)
L'étude ne dit pas si les rats ainsi traités étaient moins inspirés en présence de femelles.
Il n'y a pas vraiment de conclusion. Manifestement, la capucine tubéreuse a un effet sur la reproduction... des rats. Cet effet existe-t-il chez l'être humain ? A partir de quelle dose ? Tout cela reste à étudier. Mais peut-être que les hommes des hauts plateaux andins ont bien raison de ne pas manger de capucines tubéreuses.
Et c'est regrettable ! la mashua est peut-être un légume d'avenir : elle pousse dans des terres ingrates, produit beaucoup, n'a pas de maladies et est très nourrissante. Notez qu'on pourrait la réserver aux femmes et aux enfants, comme le font les Péruviens. Il parait d'ailleurs qu'elle aurait des effets positifs sur les règles, l'équilibre hormonal et d'autres problèmes féminins. Mais de ce côté, les études sont encore bien moins avancées !
Bon pour en finir avec tout ce blabla, je me demande pourquoi des études n'ont pas été réalisées sur l'être humain ? Peut-être parce qu'on ne trouve pas de volontaire ? Peut-être parce qu'il faudrait en manger trop (de mashua) ? Enfin, si quelqu'un a envie de tester les propriétés de la capucine tubéreuse, je veux bien fournir les tubercules. Par contre, je n'irai pas évaluer les effets !
En haut : exubérante et très productive, c'est la variété la plus courante que je cultive depuis des années. A droite, le petit tubercule d'une variété "noire", achetée cet hiver, bien moins vigoureuse. Je suis curieuse de voir la récolte (s'il y en a une !)
1 . Hermann, M., Andean Roots and Tubers: Research priorities for a neglected food resources, International Potato Center, 22 déc. 1992 - 32 pages. Consulté sur Google books le 20 octobre 2017. Lien vers l'article
2. Alfredo Grau, Ramiro Ortega Dueñas, Carlos Nieto Cabrera, Michael Hermann, Mashua, Promoting the conservation and use of underutilized and neglected crops. 25. Consulté le 10 octobre 2017. URL : https://www.bioversityinternational.org/uploads/tx_news/Mashua__Tropaeolum_tuberosum_Ru%C3%ADz__amp__Pav._880.pdf
3 . Timothy Allan Johns, Ethnobotany and phytochemistry of tropeolum tuberosum and Lepidum meyenni from andean south america, The university of British Columbia, juin 1980
4. T. Johns, The añu and the maca, Division of Biological Sciences and Museum of Anthropology University of Michigan, Ann Arbor, Consulté le 20 octobre 2017. URL : http://ethnobiology.org/sites/default/files/pdfs/JoE/1-2/Johns1981.pdf
5. Timothy Johns, D.Kitts, Frances Newsome, G.H.NeilTowersa, Anti-reproductive and other medicinal effects of Tropaeolum tuberosum. Journal of Ethnopharmacology Volume 5, Issue 2, March 1982, Pages 149-161. URL : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/037887418290040X. (abstract)
6., I.Cardenas-Valencia, , F. Guerra-Castanon, & Evaluation of different doses of mashua (Tropaeolum tuberosum) on the reduction of sperm production,motility and morphology in adult male rats, Andrologia, Mai 2012.
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T. K. Lim, Edible Medicinal and Non-Medicinal Plants: Volume 12 Modified Stems, Roots, Bulbs, Springer, 11 févr. 2016 . Consulté sur google books le 20 octobre 2017. Lien vers le livre