Le néflier... une histoire de culs
C'est un titre racoleur, c'est vrai, mais vous allez voir qu'il est parfaitement justifié.
Hier, j'ai encore reçu une jolie enveloppe. Je l'ai ouverte : elle contenait quelques grosses graines. Ah oui, c'est vrai, j'avais demandé des graines de néflier à Catherine dans le cadre du SOL. J'avais complètement oublié ! La surprise n'en est que meilleure.
Mais ça se sème comment, un néflier ? Les premières indications trouvées ne sont pas très encourageantes : les graines sont parfois vides car non-fécondées, le taux d'échec est élevé voire égal à 100%, il faut les tremper avant le semis dans de l'acide...sulfurique ! ... Du calme !
Le néflier est un arbre et un arbre a besoin de temps pour germer et pousser, c'est comme ça ! En cherchant un peu, j'ai appris qu'il avait besoin d'une alternance de périodes froides et chaudes pour germer : un hiver, suivi d'un été, puis encore un autre hiver.... (1) Alors, je ne vais pas risquer mes cinq graines à les "scarifier", ni les laisser tremper dans un quelconque acide : je les ai simplement mises dans un pot...
... que j'ai déposé au Nord de la maison où il restera quelques années. Et peut-être qu'un jour, dans deux ans, trois ans ou plus... j'aurai la joie de découvrir un petit bébé néflier.
Contre le mur, sous les épimédiums, mais pas dans l'obscurité. Sans oublier un petit grillage anti-rongeurs.
C'est la première info non-botanique que l'on trouve en faisant une recherche sur le néflier : celui-ci porte le nom populaire de cul-de-chien. C'est que nos ancêtres étaient observateurs et friands d'une bonne partie de rigolade. Je les imagine bien en train de se marrer sous un néflier, faisant assaut de plaisanteries, toutes plus fines les unes que les autres.
Je n'ai pas (encore) de nèfles à photographier dans le jardin, aussi je vous propose cette photo de wikipedia (2) afin que vous puissiez comprendre pourquoi nos ancêtres appelaient les nèfles des "cul de chien"
Mais on ne va pas s'arrêter en si bon chemin. Imaginez : nous sommes à Londres, à la fin du 16e siècle, dans un théâtre élisabéthain. C'est la première de Roméo et Juliette. Sur la scène, Mercutio est en train de faire enrager Romeo à propos de son amour pour Rosaline :
Et là, soudain, la salle se met à hurler de rire... Mais qu'y a-t-il donc de si drôle ?
Je vous traduits ça à mon idée (pourvu qu'aucun spécialiste de Shakespeare ne me lise jamais car ils se disputent entre eux sur la traduction !)
Si l'amour est aveugle, l'amour manquera sa cible,
Maintenant, il (Roméo) voudrait être assis sous un néflier,
Et il aimerait que sa maîtresse soit ce genre de fruit,
Comme les filles appellent les nèfles quand elles rient entre elles,
Ah Romeo, si elle l'était, ah si elle l'était,
Un et-cetera ouvert et toi une poire de Poperinge.
Bon, vous ne riez toujours pas ? Vous allez comprendre : là où les Français voient un cul de chien, les anglais voient un cul ouvert. En anglais, open-arse : c'est le nom populaire de la nèfle outre-manche. Mercutio ne prononce pas le mot arse mais chaque spectateur sait parfaitement à quoi il faitt allusion avec son open et-cetera (3). Et une poprin pear, alors ? C'est une poire de Poperinge, en Flandre, dont la forme évoque (ce n'est pas moi qui le dit) un pénis et un scrotum(4). On comprend mieux pourquoi, dans certaines versions, ce passage a été censuré !
On ne dit pas "pourri", on dit "blet", mais avouons que c'est du pareil au même : ce n'est que lorsqu'elle a bien gelé et que la dégradation de sa chair a commencé que l'on mange les nèfles... si on en a envie. Elle a alors perdu son côté astringent. Enfin ça, c'est ce qu'on dit car, selon le souvenir que j'ai des quelques nèfles goûtées dans mon enfance, ce fruit n'est jamais vraiment bon !
Un fruit qui fait penser à un "cul" et qui se mange pourri, vous pensez bien que ça attise l'imagination. Ce qui nous vaut, par exemple, cette citation charmante :
Women are like medlars - no sooner ripe but rotten
Ce qu'on peut traduire par "les femmes sont comme des nèfles : à peines sont-elles mûres qu'elles sont déjà pourries". Bon, c'était en 1604. Depuis, on ne pense plus comme ça...
C'est certain, si vous avez atteint un âge... on va dire mûr, vous avez dû lire des textes de Rabelais, si pas les bouquins entiers. Mais vous souvenez-vous de la généalogie de Pantagruel ? Hé bien, ce qui explique son gigantisme, c'est la consommation immodérée de nèfles par ses lointains ancêtres. Enfin, pas n'importe quelles nèfles. Mais je laisse Rabelais vous raconter ça (en français moderne avec quelques coupures). Les nèfles sont appelée mesles, leur nom ancienl.
Peu après qu’Abel fut occis par Caïn, son frère, la terre imbue du sang du juste fut si fertile, pendant une certaine année, en toutes espèces de fruits qui sont produits de ses flancs et particulièrement en mesles, qu’on l’appela de toute mémoire l’année des grosses mesles : car les trois suffisaient pour parfaire le boisseau.
(...)
Faites votre compte que le monde mangeait volontiers desdites mesles ; car elles étaient belles à l’œil et délicieuses au goût.
(...)
Mais des accidents bien divers leur advinrent : car à tous leur survint une enflure bien horrible ; mais pas à tous dans le même endroit...
Les analystes ont fait la relation entre la pomme, fruit noble, d'Adam et Eve, et les grosses mesles, fruits grotesques, dévorés par les ancêtres de Pantagruel. C'était bien dans le style de Rabelais, de se moquer ainsi. Mais bizarrement, personne n'a l'air de faire le rapport entre ce fruit et sa ressemblance avec un trou-de-balle. Je soupçonne Rabelais, qui aimait bien les allusions de ce genre, d'y avoir pensé, lui.
Mais c'est une idée qui n'engage que moi et qui ne vaut pas grand-chose... des nèfles, quoi !
Autrefois, les néfliers étaient bien plus répandus chez nous qu’aujourd’hui. On en trouvait notamment dans les haies servant à délimiter les prés. Les nèfles étaient récoltées après les première gelée et mises à "blettir" sur de la paille... pour être mangées avec les noisettes et les noix à Noël. Ce n'était pas gagné d'avance mais...
Avou l'argein, l'tein et de strein, le mess mawrihet
Traduction : avec de l'argent, du temps et de la paille, les nèfles mûrissent ! (6)
Vous aurez remarqué que le Wallon, qui a les pieds sur terre, n'a pas oublié l'argent.
Avez-vous déjà goûté les nèfles ? Qu'en pensez-vous ? Peut-être en faites-vous pousser dans votre jardin ? Avez-vous des conseils sur les variétés, les modes de culture et... le semis ? Ou de bonnes adresses pour en acheter ? Je compte sur vous et je vous souhaite à tous et toutes une excellente journée.
Et encore merci pour les graines.
(2) Photo de nèfles : File:Medlar pomes and leaves.jpg. (2017, December 25). Wikimedia Commons, . Retrieved 08:34, février 26, 2018 from https://commons.wikimedia.org/w/index.php?title=File:Medlar_pomes_and_leaves.jpg&oldid=274378920.
(3) shakesyear words, words, words, Romeo and Juliet: Mercutio’s Misogyny, consulté le 26/02/2018. URL : https://shakesyear.wordpress.com/2011/06/20/romeo-and-juliet-mercutios-misogyny
(4) Norman Blake, Norman Francis Blake Shakespeare's Non-Standard English: A Dictionary of His Informal Language, A&C Black, 22 août 2006.
(5) Photo de nèfles blettes : File:Mespilus germanica 01.jpg. (2016, November 26). Wikimedia Commons, . Retrieved 11:08, février 26, 2018 from https://commons.wikimedia.org/w/index.php?title=File:Mespilus_germanica_01.jpg&oldid=220125578.
(6) Laurent Remacle, Dictionnaire wallon-français, Volume 2, P.-J. Collardin, 1843