Le lierre, l'amant des arbres
Dans le fond du jardin, juste derrière la serre, pousse un vieux pin sous lequel j'ai installé mon petit coin "semis-bouturage-rempotage". C'est un de mes endroits préférés pour le calme qui y règne et aussi parce que, dans ce vieux pin couvert de lierre, vit tout un petit monde bourdonnant et pépiant.
Seulement voilà : ce pin qui, de mémoire d'homme, a "toujours" poussé ici, montre des signes de faiblesse : ses branches basses meurent et tombent, ses aiguilles se raréfient. Selon certains amis, le lierre serait la cause de ce dépérissement apparent. Mais, outre le fait que s'en débarrasser représenterait une tâche sans doute insurmontable, détruire ce lierre serait à lui seul un petit désastre écologique (Comme j'ai déjà parlé de l'intérêt écologique du lierre, je ne me répète pas et je vous invite à visiter le lien ci-dessous).
Le lierre est mûr ! - Au jardin des Quatre Moineaux
Dans un jardin vivant, la présence de lierre est une véritable aubaine. Il est beau, avec son feuillage luisant, et il reste vert toute l'année. Son rythme de vie est un peu décalé par rapport...
N'empêche, ce lierre a quand même l'air bien envahissant et j'ai eu quelques soupçons à son sujet. Dans ces cas-là, qu'est-ce qu'on fait ? On se renseigne.
Il se trouve que, justement, Dominique Cousin qui nous a fait visiter le Vasterival a abordé le sujet : selon lui, le lierre ne fait pas de tort aux arbres. Au Vasterival, le lierre est enlevé dans la partie centrale du parc, afin de ne pas dissimuler la structure des arbres "transparents". Ailleurs, il est le bienvenu. C'est déjà une réponse en soi, mais ma curiosité était éveillée et j'ai voulu en savoir plus.
C'est vrai qu'il est doué pour l'attachement, ce lierre : il émet le long de ses tiges des racines modifiées couvertes de poils qui s'insinuent dans la moindre anfractuosité et y restent coincés.
Mais ce n'est pas tout : ces crampons sécrètent une colle très puissante. Une des plus fortes de la nature. Les scientifiques s'y intéressent beaucoup. Ils pourraient, par exemple, s'en inspirer pour fabriquer des bio-colles permettant de faire adhérer des cellules entre elles. Pour nous recoller, en somme !
Si les crampons collent à l'écorce, ils ne pénètrent jamais à l'intérieur de l'arbre. Le lierre tire ses ressources de ses racines souterraines et n'affaiblit donc pas son support comme le ferait le gui, par exemple.
Le lierre est un symbole de fidélité : une fois fixé à un arbre, il ne peut plus s'en détacher et "aller voir ailleurs". Si l'arbre meurt et tombe, le lierre, même s'il lui survit, tombe avec son support et lui reste éternellement attaché. Quel beau symbole pour les amoureux, toujours un peu anxieux niveau fidélité.
Cette carte postale est actuellement en vente sur ebay : http://www.ebay.fr/itm/LIERRE-JE-MEURS-OU-JE-MATTACHE-FEUILLES-DE-LIERRES-EN-RELIEF-/281438110137
En voyant ces embrassements passionnés, on comprend mieux pourquoi le lierre est le symbole de la fidélité... enfin, il y aurait beaucoup de choses à dire, là-dessus !
Après avoir germé, le lierre commence par ramper sur le sol. A intervalles plus ou moins réguliers, ses tiges émettent de petites racines : autant de marcottes spontanées qu'il suffit de prélever et de repiquer pour avoir un lierre supplémentaire.
En s'étendant dans tous les sens, le lierre peut envahir un parterre. Mais il peut aussi avoir beaucoup de charme comme dans ce petit coin sous les arbres, aménagé il y a quatre ans mais qui a l'air, grâce à lui, d'avoir toujours été là.
Quand il arrive au pied d'un support, mur ou arbre, le lierre commence à grimper, grimper, grimper... toujours vers le haut et non en spirale comme le ferait un chèvrefeuille. Même s'il forme une sorte de manchon de tiges parallèles autour du tronc, il n'empêche pas celui-ci de grossir. Le lierre n'est pas un amoureux étouffant.
Et puis un été, alors qu'il est déjà âgé de 10 ans au moins, le lierre devient adulte (Peut-être moins, finalement, voyez le commentaire de Catherine ci-dessous). Lui qui poussait obstinément à la verticale sur le tronc, se met à développer des branches horizontales. En automne : nouvelle étape. Ces jeunes rameaux se couvrent de fleurs. C'est très particulier pour une plante indigène : les autres ont déjà quasiment terminé leur cycle, elles meurent ou se préparent à passer l'hiver.
C'est assez frappant : les feuilles des tiges stériles qui grimpent sont différentes des feuilles des tiges fertiles. Allez, les deux photos suivantes rendront cela plus clair :
A gauche une branche stérile, accrochée au tronc. A droite , une branche fertile et son bouquet de fleurs, perpendiculaire au tronc. La différence entre les feuilles est flagrande.
Les branches fertiles sont bien plus différentes des branches stériles qu'il n'y parait : non seulement leurs feuilles sont de forme ovales, mais elles ont besoin de beaucoup plus de lumière
Autre particularité : elles n'ont pas de crampons. Minces comme elles sont, si elles s'éloignaient trop de leur support, elles s'effondreraient. Le lierre reste donc cantonné autour du tronc et est incapable de s'étendre le long des branches latérales. C'est une bonne chose, puisque les aiguilles (ou les feuilles), non recouvertes, peuvent continuer à faire la photosynthèse et assurer le développement de l'arbre. C'est toutefois plus problématique pour les tout jeunes arbres sur lesquels on conseille de ne pas laisser grimper le lierre.
Les branches horizontales, en s'éloignant un peu du centre de l'arbre, reçoivent plus de lumière que celles qui montent sur le tronc
Je pense que tous ces arguments sont convaincants : le lierre n'étouffe pas les arbres... en bonne santé. Mais que se passe-t-il si ceux-ci sont affaiblis ?
Un arbre en bonne santé pousse plus vite que le lierre : celui-ci n'atteint pas la cime. Mais, à la fin de sa vie, ou lorsque son environnement change et ne lui convient plus, l'arbre pousse moins vite et... est rattrapé par le lierre. C'est pourquoi on a l'impression qu'il l'a tué. Mais non : le lierre ne recouvre complètement que les arbres affaiblis ou mourants.
Sur notre vieux pin, le lierre pourtant très vigoureux, s'arrête toujours à quelques mètres de la cime.
Je sais qu'il est vieux, mais les pins (je pense qu'il s'agit d'un pin noir d'Autriche) peuvent vivre très longtemps. Celui-ci, malgré son air décrépit, est toujours vigoureux : il bourgeonne vaillamment au printemps et produit quantité de petits cônes. De plus, la chute des branches basses est un phénomène naturel chez les pins qui, dans la nature présentent souvent un aspect un peu dénudé du tronc. Quoi qu'il en soit, tant qu'il ne représente pas un danger, cet arbre restera là, et son lierre avec lui.
Il y a encore beaucoup à dire sur le lierre : non seulement il n'est PAS mauvais pour les arbres, mais il aurait même un effet bénéfique. Il est décoratif et de nombreuses légendes s'y rattachent. Vous me voyez venir... j'en reparlerai !
En attendant, bonne soirée... il fait a fait beau aujourd'hui !
Un très bel article, avec de nombreuses illustrations, publié dans la revue des Naturalistes de Belgique
Un article complet sur le lierre (en anglais)
Sur les propriétés de la colle sécrétée par le lierre
https://www.zoom-nature.fr/les-armes-secretes-du-lierre-pour-se-cramponner/
Le lien vers l'étude relatée dans les deux articles précédents (en anglais et très technique lais avec des illustrations intéressantes)